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Critique de jvermeer


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« Rubens ne se châtie pas et il fait bien. En se permettant tout, il vous porte au-delà de la limite qu'atteignent à peine les plus grands peintres ; il vous domine, il vous écrase sous tant de liberté et de hardiesse. » - Eugène Delacroix, 1860

Lorsqu'une scientifique émérite mène en parallèle une carrière de peintre, de sculpteur sur pierre et de copiste au Louvre, cela donne ce livre d'enquête de Sigrid Avrillier consacré au thème des trois Grâces, dont l'origine remonte à la mythologie grecque, et à sa représentation picturale par le maître flamand Pierre Paul Rubens. L'image est indispensable lorsque l'on parle de peinture. L'iconographie des Éditions Macenta est à la hauteur du texte.

Rubens, certainement le peintre le plus important de la peinture flamande au 17e siècle, était un peintre érudit, parfois ambassadeur, très recherché par les cours européennes. J'ai souvent admiré ses toiles croisées au Louvre : une fête de la couleur et des corps dénudés à la chair joyeuse. Eugène Delacroix qui adorait copier les néréides, plantureuses jeunes femmes d'une sensualité débordante, s'en était inspiré en 1822 pour peindre les corps des figures nues au pied de la barque de son « Dante et Virgile aux enfers ».

Dans diverses visites d'expositions, les Grâces m'apparaissaient parfois : Raphaël au château de Chantilly, Lucas Cranach au Louvre, ou « le Printemps » de Botticelli. L'auteure nous invite à découvrir une des toiles « L'Instruction de la reine » qui fait partie des 24 immenses tableaux commandés en 1622 à Rubens par la reine Marie de Médicis, illustrant sa vie comme seconde épouse du roi Henri IV et mère de Louis XIII. Ce cycle des tableaux a été peint par l'artiste de 1622 à 1625 pour être accroché au palais du Luxembourg édifié par la reine. Depuis 1816, la galerie Médicis, dans l'aile Richelieu du Louvre, sous un bel éclairage zénithal, s'enorgueillit aujourd'hui de les posséder. Je conseille fortement la visite de ce lieu magnifique.

Plus du quart de la surface de « L'Instruction de la reine » est occupé par un groupe de femmes à la beauté rayonnante : les trois Grâces. Je décris la toile : Rubens a représenté Marie en miniature lisant un livre posé sur les genoux d'une Minerve Casquée. Au-dessus de sa tête, un Mercure descend du ciel dans un drapé rouge, et un personnage, qui pourrait être Orphée, joue de la viole. Sur la droite de la toile, les trois Grâces attirent tous les regards. Rubens connaissait parfaitement la mythologie grecque. Les dieux antiques sont donc omniprésents dans les 24 tableaux du cycle de la reine. Les Grâces peintes par Rubens étonnent par leur sobriété. Les femmes bien en chair, à la mode flamande, propre à exciter le désir, ont disparu. le peintre nous les montre très grandes dans une nudité sans érotisme dans les aspects du mythe antique.

Le mythe des trois Grâces apparait dès le 7e siècle av. J.-C., dans le culte des « Charites » chez les Grecs. Filles de Zeus, elles sont les divinités de la prospérité et de la croissance, donnant aux mortels comme aux dieux, joie, paix, beauté, fécondité. À partir du 4e siècle, elles échangent leurs vêtements pour des voiles puis se dénudent complètement. Très populaire chez les Grecs et Romains, on va les retrouver partout dans des peintures, fresques, mosaïques, monnaies ou décors d'églises. Oubliées au Moyen Âge, elles réapparaissent vers la fin du 15e siècle.

L'analyse de l'auteure est lumineuse sur la présence et la place des Grâces dans le tableau.
Rubens voulait représenter les Grâces dans une attitude originale, deux de face et une de trois quarts, à la manière « baroque » en s'affranchissant de la morale chrétienne. Toutefois, il devait satisfaire la reine très catholique. Il fallait également faire l'apologie de celle-ci et redorer sa réputation dégradée. La place occupée par la beauté et la grandeur des Grâces dans le tableau ne pouvait que plaire à la reine en soulignant son avenir prometteur : devenir la reine du Royaume de France et assurer la lignée des bourbons en donnant un fils au roi. Louis XIII naissait seulement neuf mois après sa rencontre avec Henri IV. le contrat était rempli.

Après ce cycle pour Marie de Médicis, présentant des femmes très classiques, sages, « grecques », le maître allait continuer à peindre des Grâces pour d'autres commanditaires. Son mariage en 1630, il a 53 ans, avec la très jeune Hélène Fourment lui permit de retrouver les grâces nues aux formes très rondes qu'il affectionnait. le tableau actuellement au Prado « Les trois Grâces nues » montre sa femme Hélène représentée trois fois. le Rubens voluptueux est de retour : les Grâces se frôlent, se caressent, laissent dans les chairs l'empreinte de leurs doigts.

Je termine sur la très belle description du travail de copiste effectué durant trois mois dans la galerie Médicis par Sigrid Avrillier sur une toile de format 1,46 x 1,14 m : une belle dextérité dans le rendu des carnations et glacis, avec le fameux « sfumato » cher à Léonard de Vinci dans les contours. La mise en page devait être très respectueuse de l'esprit du cycle et de sa poésie. « J'ai osé, moi aussi, une « interprétation », comme Rubens », dit la copiste.

Ce livre, technique, érudit, demandant un gros travail de recherche, est riche. J'ai découvert un pan de la mythologie grecque que je connaissais peu et la peinture de Rubens que j'admirais depuis longtemps et qui m'est devenue familière.

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