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Critique de Lamifranz


Vous connaissez Marcel, quand il dézingue, c'est pas vraiment avec un pistolet à eau, c'est à la Kalash, ou carrément au bazooka ! Là où Molière, Beaumarchais, Courteline, Renard et Feydeau y allaient avec le dos de la cuiller, voire à la louche, Marcel c'est à coup de marmite qu'il tombe sur la bêtise crasse de ses frères humains : on l'a vu à l'oeuvre pendant et après la guerre, à présent (5 ans après) il s'en prend à la justice. Ou plutôt aux juges, qui se laissent facilement corrompre. La toile de fond de cette exécution est toute trouvée : la peine de mort. Il faudra attendre encore trente ans pour voir ce crime légal disparaître de nos juridictions, mais en 1950, c'était encore au goût du jour. Ouvrir un tel débat était donc hardi, et même téméraire, car les relents de la guerre étaient toujours aussi pestilentiels.
C'est une pièce qu'il est difficile de classer dans un genre particulier : disons que c'est un vaudeville qui se transforme en charge terrible contre la justice et les magistrats, tenant à la fois de la farce et de la tragédie, tout en restant une pièce à thèse.
Le procureur Maillard est content de lui : il a obtenu la tête de Valorin, un joueur de jazz. Bien que promis à la guillotine celui-ci s'évade et donne à Maillard la preuve de son innocence : au moment du crime, il couchait avec la maîtresse de Maillard, Berthe Bertolier, elle-même épouse d'u autre procureur, collègue et ami de Maiilard. Pour éviter le scandale, les deux magistrats se mettent en quête d'un autre coupable. Ce n'est qu'un début : entre la Bertolier (Berthe, alors) qui n'hésite pas à recruter des tueurs pour descendre Valorin, le nouveau coupable idéal, Gozzo, tout aussi innocent que le premier, puis un troisième coupable (le vrai cette fois) et nos magistrats qui rivalisent de bassesse (il est vrai que ce sont d'anciens collabos, mais ce ne saurait être une circonstance atténuante, vous en conviendrez, quoique…), bref ça tourne au carnage, à l'écharpage massif où toutes les valeurs sont détournées au profit des intérêts personnels des intervenants…
Le thème de la peine de mort est au centre du débat : mais lui aussi est détourné : la peine de mort n'est pas combattue parce qu'elle tue un homme, quel qu'il soit, mais parce qu'elle risque de tuer un innocent. Bon pour le droit, mauvais pour la morale. Mais la morale, dans cette pièce est clouée au pilori dans chaque scène.
Si l'on s'en tient au simple vaudeville : Berthe Bertolier essaye à plusieurs reprises de tuer Valorin, alors qu'ils s'aiment, Juliette Maillard qui en pince pour Valorin ne comprend pas qu'il aime cette femme vénale et perverse. Elle sort de la pièce complètement écoeurée.
Les magistrats font surenchères sur surenchères dans la bassesse, la lâcheté, ne négligeant aucun moyen pour sauver leur apparente et factice dignité. Rares sont les personnages à sauver dans cette histoire : les principaux protagonistes, d'une amoralité que je qualifierai… d'inqualifiable, sont à la fois abjects et cocasses (quasiment ubuesques) et les autres, incapables de se révolter contre les évènements, sont pitoyables, sans pour autant inspirer la pitié.
C'est donc une farce tragique que cette pièce, qui fit scandale à sa première représentation en 1952 : l'auteur fut vilipendé pour sa prise de position contre la peine de mort, et également pour sa charge féroce contre la justice et les magistrats. Toutefois la pièce fut applaudie et on salua le talent de l'auteur. Il est vrai que celui-ci, cynique et incisif à son habitude, s'est souvenu de ses anciens (de Molière et Racine jusqu'à Alfred Jarry) pour nous concocter une satire implacable des institutions judiciaires où la notion même de justice n'est plus qu'un chiffon dont on se sert pour justifier ses propres déviances et exactions, et pour sauvegarder ses intérêts particuliers.
Chauffe, Marcel, chauffe ! Ah, pour chauffer, il a bien chauffé, Marcel, mais nous on a bien Aymé !



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