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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une nouvelle série consacrée à Stephen Strange. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2016, écrits par Jason Aaron, dessinés par Chris Bachalo, et encrés par un bataillon d'encreurs en fonction des épisodes, à savoir Wayne Faucher, Mark John Irwin, John Livesay, Jaime Mendoza, Victor Olazaba, Tim Townsend et Al Vey. La mise en couleurs a été assurée par Chris Bachalo. L'épisode 1 comprend également un interlude de 5 pages dessinées et encrées par Kevin Nowlan.

En une page faite à partir de dessins accolés, extraits de précédentes séries, l'origine du Docteur Strange est rappelée, et l'histoire commende dès la deuxième page avec ce bon docteur dans une autre dimension, en train de se battre contre des grosses bébêtes étranges et bizarres, dont une qui ressemble fortement à un gros ours en peluche. Il doit aussi se battre contre un monstre dénommé Spurrgog, et s'arracher à l'étreinte un peu trop passionnée d'une créature mi-femme mi-seprent. Sa mission accomplie, il peut alors regagner la chambre de la petite fille dont les parents avaient requis son aide. Il sort et marche dans la rue, voyant la réalité comme elle est vraiment, y compris la myriade de créatures surnaturelles inoffensives qui pullulent autour des êtres humains, tout en leur étant imperceptibles.

Stephen Strange se rend à son rendez-vous : dans un bar, pour y passer un moment convivial avec Wanda Maximoff (Scarlet Witch), Jericho Drumm (Doctor Voodoo), Michael Twoyoungmen (Shaman) et Monako, le prince de la magie. Puis il se rend à son Sanctum Sanctorum au 177A Bleeker Street. Devant sa maison, Zelma Stanton demeure immobile indécise. Elle finit par se laisser convaincre par Strange, de rentrer à l'intérieur et de jeter un coup d'oeil à sa bibliothèque. Il s'avère qu'elle-même transporte un parasite surnaturel dans sa tête. Mais ce n'est que le début des problèmes pour Strange qui se rend compte que certains de ses sorts ne fonctionnent plus, comme si la magie présentait des dysfonctionnements chroniques ou était en train de disparaître.

En 2016, sort le film Doctor Strange de Scott Derrickson, dont le rôle-titre est interprété par Benedict Cumberbatch. Synergie transmédia oblige, l'éditeur Marvel met en chantier une nouvelle série mensuelle sur le personnage. Il avait déjà un peu préparé le terrain en le réintégrant dans l'équipe des Avengers, et en lui faisant faire équipe avec le Punisher lors de Original Sin (2014), déjà écrit par Jason Aaron. La couverture montre un Stephen Strange (il n'a plus de cheveux blancs), armé d'une hache de guerre, ce qui laisse songeur quant à son efficacité contre des créatures surnaturelles. le dessin en double page 2 & 3 ne rassure pas non plus en voyant qu'il porte des chaussures à semelles crantées, et un bouclier. Mais en fait, la suite des épisodes montre que Jason Aaron a appliqué ce qu'il a dit au premier degré : Stephen Strange peut utiliser des armes blanches quand la situation le requiert, sans qu'elles ne soient intégrées à son costume de superhéros, ou de magicien, de manière permanente. Finalement, les changements sont surtout d'ordre cosmétique, sans altérer l'essence du personnage.

Chris Bachalo propose une version de Doctor Strange à la forte personnalité graphique. Il n'essaye pas de faire du sous-Ditko ou de s'aligner sur Frank Brunner ou Gene Colan ; il conserve son identité graphique pleine et entière. le lecteur découvre des cases présentant un poids certain du fait de l'utilisation d'aplats de noir consistants. Il découvre également un monde habité par des créatures surnaturelles très bizarres. Il suffit d'observer ce que perçoit Strange dans la rue pour se rendre compte de l'intelligence visuelle de ces représentations. Bachalo prend le postulat que lesdites créatures ont une apparence qui mêle le règne animal et le règne végétal, occasionnant un décalage irrémédiable avec la réalité. En fonction de sa sensibilité, il peut estimer qu'il s'agit d'une belle preuve d'inventivité pour faire exister des bébêtes étrangères à la race humaine, à la réalité prosaïque, des trucs et des machins qui ne sont pas de ce monde, qui ne répondent aux règles connues de la biologie, qui existent selon des lois magiques, permettant par exemple à des poissons exotiques de voler dans les airs, à des manches à air d'être de redoutables parasites psychiques. Bachalo en rajoute encore un peu dans la sensibilité enfantine en usant des couleurs acidulées pour ces manifestations surnaturelles. le lecteur peut y voir au choix, une forme de fétichisme d'adulescent, un frein à la dimension dramatique, ou un réenchantement du monde.

Étrangement, les personnages sont marqués par les mêmes tics graphiques, en particulier celui de vouloir leur donner une allure jeune, avec des visages souriants et avenants, sans ride. Là encore, la sensibilité du lecteur influe beaucoup sur son ressenti. Il peut s'agacer de cet effet de jeunisme systématique, que ce soit pour Stephen Strange, Zelma Stanton ou Wong. Ou alors il peut estimer que c'est cohérent avec le reste de la narration visuelle, sans s'en formaliser. Quoi qu'il en soit, il éprouve rapidement une empathie irrépressible vis-à-vis des personnages, du fait de leurs expressions franches, discrètement exagérées, ce qui introduit une forme d'humour sous-jacent également irrésistible. Bachalo sait aussi se faire sérieux quand le drame de la situation l'exige en accentuant les aplats de noir, ce qui neutralise tout effet comique. le langage corporel est tout entier dicté par les actions effectuées par les personnages, sans réellement transcrire leur état d'esprit.

Tout au long de ces 5 épisodes, le lecteur se régale avec la densité d'informations visuelles qui enrichissent la narration, au point de la nourrir au-delà de la simple intrigue et des dialogues. le lecteur détaille avec appétit les habits des premiers monstres surnaturels, ainsi que tous les gadgets qu'ils portent à la ceinture, puis les jouets présents dans la chambre de la petite fille, puis l'aménagement intérieur du bar sans portes, puis le capharnaüm présent dans chacune de pièces visitées dans le Sanctum Sanctorum, puis les plats peu ragoutants préparés par Wong (on n'en mangerait pas), etc. L'exubérance de la narration graphique rend compte du foisonnement de la magie, de ses manifestations protéiformes, de son côté sauvage et indompté. Cette même inventivité transcrit le tragique des situations où rôde la mort, où l'ennemi frappe sans pitié. À sa manière moins exubérante, Kevin Nowlan respecte parfaitement l'état d'esprit de la narration visuelle de Chris Bachalo, que ce soit pour l'apparence des monstres, ou un parfum discret de dérision très agréable.

Jason Aaron bénéficie donc d'un artiste à la force de conviction peu commune pour donner corps aux manifestations magiques. Il peut donc se reposer sur lui pour cette dimension de la narration et se concentrer sur l'intrigue et le contexte. Il doit réimaginer le docteur Strange pour développer une série qui puisse durer plus de 12 numéros. Il attaque donc bille en tête sur l'existence de créatures surnaturelles. Il n'essaye pas d'en faire des créatures métaphoriques. Il propose l'existence de la magie, invisible pour les individus normaux, même s'ils en subissent parfois les effets indirects. Il montre que Stephen Strange se bat aussi bien avec une collection de sorts, qu'avec des armes blanches quand les circonstances s'y prêtent. le lecteur voit qu'il va bénéficier de voyages dans des dimensions magiques extraordinaires sur le plan visuel.

Ensuite le scénariste doit choisir ses personnages dans l'historique des histoires du docteur Strange. Il ramène Wong et lui donne un rôle très classique, mais aussi une fonction très inattendue, en lien direct avec les missions magiques du bon docteur. le lecteur trouve cette fonction pertinente et terrifiante, tout en s'étonnant que Strange ne l'ait jamais percée à jour. Pour le moment, Aaron s'en tient à ce personnage présent depuis le début des apparitions de Doctor Strange, préférant introduire un nouveau personnage : Zelma Stanton. Il ne s'attache pas trop à développer leur caractère, préférant les faire agir. Il évoque la place de Strange parmi les autres pratiquants de la magie dans l'univers partagé Marvel, là encore en limitant leur participation au strict minimum. Enfin, il ne commence à développer son intrigue sur le long terme qu'à partir de l'épisode 3. Cela a pour conséquence de donner l'impression au lecteur qu'il vient de lire un prologue plutôt qu'une histoire consistante. Globalement, en 5 épisodes, Jason Aaron parvient à installer son interprétation du docteur Strange, au point d'équilibre entre respect des caractéristiques du personnage et innovation personnelle.

Ce premier tome de la nouvelle version de Doctor Strange est marqué par la personnalité de ses créateurs qui ne souhaitent pas proposer une resucée insipide de ce qui a été fait auparavant. Chris Bachalo raconte l'histoire avec une inventivité baroque très divertissante, même si le lecteur peut être moins séduit par quelques tics tels que le jeunisme. Jason Aaron fait le choix d'une magie baroque et omniprésente, aux manifestations très colorées : Strange est le maître des arts mystiques de manière frontale et explicite. En seulement 5 épisodes, il développe une nouvelle dynamique pour la série avec un nouveau personnage (Zelma Stanton), un nouvel ennemi (les forces de l'Empirikul et l'Imperator) et un rôle inédit pour Wong. le lecteur est convaincu par la viabilité de la série, il a passé un bon moment de lecture, mais il attend aussi un chapitre plus consistant.
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