AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Antyryia



Lire peut nuire gravement à votre santé.
Du moins, à en croire de nombreuses accroches en quatrième de couverture, vous devez vraiment modérer votre consommation de romans à suspense.
"Impossible à lâcher !", par exemple, est un leitmotiv récurrent.
C'est quand même hyper embêtant quand un livre vous colle aux doigts à ce point-là. Tellement adhésif que vous devez l'emmener partout avec vous. Et une fois la dernière page tournée, vous devez tellement tirer dessus pour vous en défaire que vous sentez la peau de vos mains écorchées partir en lambeaux.
"Le livre de vos nuits blanches !"
Enchaîner les insomnies n'est pas non plus conseillé.
Vous ne dormirez plus, vous allez entamer votre roman à 21h00 et à 06h00 du matin vous y serez toujours. Vous lutterez chaque nuit contre la fatigue à grand renfort de guronsan et de red bull. Jusqu'à ressembler à un zombie en permanence. Toujours à lutter contre vos yeux qui se ferment pour pouvoir lire un chapitre supplémentaire.
"A vous couper le souffle !"
C'est sans doute le pire. Etre tellement absorbé par une histoire que vous en oubliez de respirer. Il n'y a plus qu'à espérer qu'un tiers préviendra les urgences à temps pour permettre à votre cerveau de se réoxygéner avant que les dégâts ne soient irréparables.
Sinon c'est la mort assurée.
Décidément, les lecteurs de thriller vivent dangereusement.

Si j'admets volontiers m'être parfois couché plus tard qu'à mon habitude pour lire un dernier chapitre ou terminer un roman passionnant, je n'en peux plus par contre de ces encarts publicitaires qui rivalisent de non-imagination éditoriale.
Pour une fois, ça n'est pas le cas ici. Et c'est tellement rare que je me devais de le signaler.
"Un roman d'une noirceur folle, traversé de moments de grâce."
Ces mots de Michaël Mathieu ( je rends à César ce qui est à César ) illustrent à merveille le roman de Solène Bakowski.
Je n'aurais pas pu mieux dire mieux avec mes propres mots, alors je me permets l'emprunt de cette formule particulièrement appropriée, qui résume ce que j'ai moi-même ressenti à cette lecture.
Une bonne intention est un roman suffocant, mais qui vous laisse parfois reprendre votre respiration, sans que ça nécessite une intervention du Samu.
Vos jours ne seront donc exceptionnellement pas en danger.

En revanche, on ne peut pas en dire autant pour ceux de la famille Martin.
Tout commence avec l'enterrement de Karine, une femme qui a mis un terme à sa pénible existence. Atteinte d'une sévère dépression, elle abandonne derrière elle un époux ( Nicolas ) et leur petite fille ( Mathilde ).
Après son décès, Nicolas, inconsolable, perdra pied avec la réalité.
"Je ne savais pas que les papas ça pleurait. Mais c'est bête, j'aurais du m'en douter, ils sont pareils que nous en fait, ils ont le droit d'avoir de la peine."
Littéralement fou de douleur, il parle à la défunte ( "Sans toi, je ressemble à rien, tu me manques tellement." ). Il se comporte bizarrement avec sa fille qui, à neuf ans, ressemble de plus en plus à sa mère, à la femme qui lui manque chaque jour davantage.

Un an environ après le suicide de Karine, un nouveau drame vient frapper les Martin. La petite Mati n'est pas rentrée de l'école.
Le même jour, son père aura un grave accident de voiture, qui le laissera dans le coma. S'il se réveille un jour, les dommages seront irréversibles.
La police mène l'enquête.
"Dans la majorité des cas, les disparitions d'enfant sont le fait de l'entourage."
Tout accuse le père : le vélo de la fillette retrouvé dans le coffre de la voiture, le sang retrouvé dans la maison, le mot énigmatique que Mati a rédigé à l'attention de sa mère la veille : "Maman, tu sais, Papa ne va pas bien ce soir."
Même Eliane, la mère de Nicolas, se persuade de la culpabilité de son fils, incapable d'avouer quoi que ce soit dans son état.
"Qu'est-ce que tu lui as fait, bon Dieu, hein, à ta propre fille ?"
"Tout désigne le fils, le père, rien ne l'épargne."

La première des trois parties a donc l'allure d'un thriller : Disparition d'enfant mystérieuse, mensonges et secrets familiaux qui se dévoileront progressivement et qui sont détenus par Mamie Eliane.
"Le mensonge était un matelas bien confortable."
Feu ma grand-mère se prénommait elle aussi Eliane, je n'ai donc eu aucun mal à me représenter le personnage. J'espère cependant qu'elle ne détenait pas autant de secrets que la mère de Nicolas parce que sinon ma famille est beaucoup plus bancale que ce que je croyais ...

Et pourtant, après cette atmosphère pesante de morts, d'accidents, de disparitions, de terribles mensonges peu à peu révélés, le roman va se poursuivre sur un ton différent.
On quitte le polar étouffant et on arrive aux instants de grâce.
Dans la seconde partie, il sera davantage question de gentillesse et d'innocence. D'humanité. de tolérance.
On quitte l'enquête et on retourne provisoirement dans le passé afin de nous livrer un nouveau pan nécessaire à la compréhension de toute l'histoire.
On découvre alors que l'enchaînement de drames partait pourtant d'une bonne intention.

A nouveau, on est à la croisée des genres avec ce roman. Roman noir assurément, thriller psychologique partiellement, drame familial également, le tout à la sauce Bakowski.
Difficilement classable.
L'écriture demeure le gros point fort. L'auteure s'amuse avec les mots, maîtrise parfaitement la langue et a son propre style très reconnaissable, très élégant, avec quelques métaphores uniques et expressives.
Je pense par exemple à l'institutrice rayonnante de Mati ( "parce que quand elle sourit, Magali, elle attrape tout le soleil." ), je pense aussi à cette faculté de l'auteure de se mettre dans la peau de personnages différents.
Dans celle d'une fillette meurtrie : Les lettres de Mati à sa mère emportée au "pays blanc" sont particulièrement sincères, émouvantes.
"Tu sais, j'ai l'impression parfois que Papa sait pas que t'es plus là, ou qu'il oublie."
Sans oublier un autre personnage exceptionnellement décrit, Rémi, dont il serait maladroit de trop parler ici étant donné son intervention tardive au sein du roman.

J'ai préféré ce roman à "Un sac", le précédent ouvrage de l'auteur, tellement sombre et atroce que je n'y ai jamais tout à fait cru.
Ici c'est plus feutré, plus sensible, plus sincère. Quoi que dur, il y a une forme d'espoir qui subsiste et j'ai accompagné les personnages plus volontiers.
Je l'ai également préféré à "Avec elle" : Je n'ai ressenti aucune longueur. En revanche je comprends peut-être pourquoi, dans ce projet avec Amélie Antoine, Solène Bakowski n'a pas hérité de l'histoire où disparaissait Jessica : Elle venait elle-même d'écrire un roman qui évoquait la disparition d'une fillette à peine plus âgée.

Une bonne intention est un roman empli de culpabilité, où chaque personnage se persuade que c'est à lui d'endosser la responsabilité de cette succession de malheurs.
Mais qui est réellement responsable de la destruction de la famille Martin ? Qui accuser légitimement ?

Un roman intense et rempli d'émotions, qui transpire tantôt de haine et tantôt d'amour.
Qui s'interroge aussi brillamment sur l'innocence d'un enfant.
Peut-elle être préservée en de telles circonstances et avec un tel entourage ?

Il n'y a vraiment aucune contre-indication médicale à cette lecture.
Alors n'hésitez pas à accorder sa chance à ce beau roman, aussi attendrissant qu'éprouvant.

Commenter  J’apprécie          4011



Ont apprécié cette critique (35)voir plus




{* *}