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Critique de karineln


Maestro m'a percutée. Dès les premières pages, un mot s'est imposé à moi et a martelé jusqu'à devoir l'énoncer à voix haute pour m'en débarrasser : « abouti ». le rythme ; l'écriture directe, confiante ; les entrelacs du présent et du passé, du présent et des passés ; la sincérité du propos qui n'a plus peur de se dire sans éprouver la nécessité de convaincre ou de plaire… C'est un roman abouti qui s'impose à moi dès les premières lignes. Cécile Balavoine égraine au fil des pages les rendez-vous manqués, les malentendus, les ratés, les rêves avortés, les espoirs et déceptions qui scandent et entravent un chemin. Mais sans nous alourdir, sans nous en faire l'apogée, ni un drame encore moins une explication de texte. Avec élégance et pudeur, par petites touches, si infimes parfois qu'on pourrait passer à côté d'une information délivrée en catimini, l'auteur tisse point par point, dans un ordre qui ne répond à aucune logique sinon à celle d'une vie dont on ne mesure que trop peu les hasards ou les bienvenus : les événements, réminiscences, rencontres et éprouvés de son histoire.
Une voix, un père, Mozart, des amants, un Amour. le père, première figure centrale, d'amour, d'attente et donc de pression et de cran d'arrêt. « Mozart et son père avaient aussi leurs mots d'amour filial. Et soudain je comprends le malaise, la tristesse. Peut-être était-ce pour ne jamais grandir, pour continuer à honorer le père que j'avais préféré aimer un mort. »
La rencontre amoureuse et sensuelle avec le piano d'abord. « Je m'ennuie dans tout ce vide, dans tout ce blanc. Pour me remplir, on m'offre un piano qui sent les copeaux de bois. Je m'enferme pendant des heures avec lui dans ma chambre, je le respire, je le hume. Ses touches sont lisses, je les caresse, comme les courbures du battant qui protège le clavier, doux, velouté par le vernis. J'aime son odeur, j'aime son toucher. »
Et puis Mozart et la musique ! Heureuse de ne plus être seule, joyeuse de la découverte d'un univers, Cécile grandit dans et avec la musique et en ami intime Wolfgang. Un lien incontournable, une connexion inexpliquée, s'impose en maître et avec lui le poids d'une différence à assumer, la douleur d'un non-sens envahissant, mais indéniablement là, mystérieusement familier. Cécile part à Salzburg : « Rien n'était plus évident que d'être là, comme s'il s'agissait d'un lieu de naissance de l'âme. Comment expliquer autrement l'évidence ? Je me disais qu'il devait exister, pour chacun d'entre nous, un endroit sur cette terre où s'opérait la communion entre le tellurique et le céleste. Pour moi, ce lieu était ici, devant cette imposante montagne, à la naissance des Alpes. »
Et puis cet invisible qui se glisse, ces souvenirs d'antan non vécus et pourtant si palpables, si ancrés en elle, et qui racontent un passé lequel trouve son écho dans le présent…On devine l'angoisse par moments d'être ainsi traversée et écrite par d'autres fantomatiques si proches et si lointains ; l'angoisse d'inventer sa singularité dans un écrin cousu main depuis des lustres en vivant pleinement son présent dans tout ce qu'il comporte de beau et de puissant. « Je n'avais jamais raconté à personne ce qui depuis longtemps m'obsédait. Je ne l'avais jamais dit mais il m'arrivait de l'écrire. Parfois. de plus en plus souvent. Inlassablement, j'écrivais cette histoire et la réécrivais avec d'infimes variantes. C'était l'histoire d'une jeune femme assaillie par des souvenirs anciens, trop anciens pour lui appartenir, et qui peu à peu en perdait la raison. Un soir, plutôt que de mettre fin à ses jours comme elle y avait songé, tant elle était envahie par ce passé qui la plongeait dans un monde irréel et la désespérait, elle prenait un train à la gare de l'Est après avoir laissé une lettre d'adieu à l'homme qui partageait sa vie. Elle partait rejoindre la ville d'où lui venaient ses souvenirs pour tenter de les comprendre, peut-être de les conjurer. »
Les énigmes se faufilent entre les pages sans jamais se dévoiler, fuyant la démonstration éclairée d'un noeud tragique à solutionner en ménageant son effet. C'est plus fin, plus subtil, et ces noirs-obscurs délivrés ça et là suscitent le désir vivant dont la narratrice semble si bien accepter les latences, les absences, les patiences.
Cécile Balavoine nous offre la mise en mots, le roman sur l'évidence. L'évidence que l'on sait nommer, facile, un peu goguenarde, dans un tombé de sens qui n'appelle aucun effort. L'évidence qui nous chahute le corps, nous enrobe de son ambiance : la sensation avant qu'elle ne soit pensée, qui n'est pas sans convoquer l'inquiétante étrangeté, l'Umheiliche d'un autre autrichien très célèbre : l'inquiétant dans le familier, le déjà-vu dans la nouveauté, la peur du nouveau qui nous est si proche….Les deux amants n'auront de cesse de se dire leurs peurs et leurs hâtes pourtant de se voir, se revoir et ne plus se lâcher, dépourvus et emportés par l'évidence d'un amour qui se reconnaît par la voix, par l'évidence d'un vieil amour naissant ?
L'évidence qui nous dépasse, nous déborde, nous submerge et ne se devine que dans l'après-coup, peut-être, pas toujours. Elle ne se laisse jamais attraper de toute façon cette évidence là : on la touche du bout des doigts avant qu'elle ne s'envole encore, un peu comme quand on frôle, l'espace d'une infinie seconde, une vérité : laquelle éclaire et fait sens, enfin, après laquelle on court, souvent, pour être bien avec soi, toujours. L'évidence comme l'essence portée en creux, l'essentiel qui pousse, tend, aspire, rêve, aime et anime tout ce qui s'éprouve et grandit, tout ce qui heurte et se panse. Les vies dansent des pas qu'on ignore mais qu'on mettra toute une existence à répéter et à magnifier…
Merci infiniment Cécile Balavoine : ça chahute, tourneboule, ça résonne si fort depuis que j'ai refermé votre premier et grand roman. Il s'écrit depuis longtemps ce livre, il germait depuis longtemps et a sans doute éclos au moment propice et opportun. Il convoque les questions du destin, de l'inconscient, de la quête. Avec discrétion, à travers une trajectoire, l'écriture limpide diffuse et transmet l'universel des rouages de la vie : ses mystères, ses élans, répétitions, créations, coïncidences ou pas…Le maillage de l'existence.
« Ma main s'est mise à tournoyer, traçant les formes d'yeux répétitives et obsédantes qui s'étaient déjà dessinées la première fois. Puis tout à coup des lettres, des mots, nets, immuables, inévitables sont apparus : Mozart germer amour monde. J'ai jeté mon papier, le crayon. Il n'y avait rien à faire. Je ne pouvais pas sortir de Lui, de son amour, de cet entrelacs d'âmes. Peut-être quelque chose naîtrait-il de tout cela ? Un germe du mieux, un monde né de l'amour d'un mort ? Je ne savais plus s'il fallait rire ou être consternée. Mais je me suis dit que peut-être, quand même, quelque chose, quelque part, devait bien exister au-delà du visible. »
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