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Critique de marilyseleroux


Adeline Baldacchino aime les chiffres, « parfois », est-il précisé en quatrième de couverture, en tout cas ceux à portée symbolique, poétique, nourricière, comme le montrait déjà le précédent recueil publié en 2015 aux éditions Rhubarbe : 33 poèmes composés dans le noir (pour jouer avec la lumière). Ces deux titres en écho disent à eux seuls ce qu'est la poésie pour Adeline Baldacchino : une aide à vivre, une expérience de tout l'être, une respiration de l'âme et du corps contre la souffrance destructrice, contre la mort (ici celles de son père et de sa grand-mère tendrement aimés). Comment renaître à ce qui nous tue ? La poésie/la vie ne font qu'un, prises dans un même souffle, une même chair. L'expérience vécue, celle d'un « effroyable été », bouleverse le lecteur, et par le poids de la douleur contenue dans chaque mot et par la force qu'il faut pour la surmonter.
Les chiffres, les nombres sont nécessaires pour baliser le parcours, retrouver les âges, se rassurer, contenir l'émotion, lui donner un sens, pour scander la parole aussi, la maintenir à hauteur de vie possible. On notera ainsi que chaque poème court sur trois pages, disposé en plusieurs strophes de 6 à 15 vers, si on excepte les vers de chute, isolés du reste, qui sonnent comme autant de fins provisoires, de couperets pour le matin suivant. Chaque vers est pourvu d'une majuscule tel un amer sur les eaux noires du Styx.
Parmi ces strophes dominent les neuvains, véritables unités de souffles, impulsions vitales pour pousser la parole « à grands coups de reins », pour continuer malgré tout à remonter le fleuve avec « des avirons de fortune » « vers la source qui n'a pas de nom ». Les reprises nombreuses, les retours, les paronymies, les rimes, les amorces, les anaphores, les patterns grammaticaux disent le cycle de la vie qui doit toujours recommencer, toujours reprendre son élan sur ce qui a été vécu, perdu. Il faut forcer la parole, forcer la vie dans ses rails même si, certains matins, on aimerait la voir disparaître sous la neige. Regrets, « corps à l'envers », nudité de l'âme, douleur, enfermement, silence glacé, vide qui résonne, il y a tant à surmonter pour gagner un autre jour. le matin qui tangue sur la ville a beau avancer sa « mousse nue dans l'entrejambes des branches », il « fait semblant de recommencer le monde », il reste « sans fond », petit « canard boiteux » qui oblige à se refaire une figure sous « la peau rose des masques ». La radio même, avec son actualité mortifère, ajoute à la morsure du froid.
C'est donc d'un double hiver dont il est question dans ce recueil-journal écrit durant la mauvaise saison 2016-2017. Hiver du calendrier qui s'étire du « Neuf janvier au matin, dans la brume » à Paris au « premier mars, Nice, 35 ans », une saison « au bord du gouffre ». Hiver de l'âme qu'il faut traverser, « le cartable plein de livres » pour « contrer la mort », « la course au / Temps qui gagne toujours », pour « tout reprendre à zéro » et tenir jusqu'au lendemain dans les mots, avec les mots, fabriquer « des éclats / de verre avec du sable », même si tout semble vain « entre les doigts effarés / Qui ne serrent plus que de l'absence ». Les balises du calendrier, les repères quotidiens auront aidé à surmonter la douleur, à écouter son corps aussi, son souffle, à leur faire confiance, même si l'interrogation demeure, à jamais ouverte. le treizième poème, non daté, décalé du reste, libéré de ses majuscules, ouvre en ce sens un espoir, une palpitation nouvelle contre l'angoisse qui a trop joué « avec ses tourments ». La vie qui court dans les veines aura raison du noir, il est temps pour l'âme de sortir de son ghetto, habillée de neuf. « Sevivon sov sov sov », chante la toupie de Venise… et l'âme se met « à danser / dans le corps qui l'aimait. »

On reviendra alors à l'oeuvre de couverture : une lithographie de Titus Carmel « Tournant de l'hiver ». Oeuvre chaude dans ses couleurs, qui dit l'élévation, le sacré des cathédrales, le rythme des lignes qui font battre le coeur, « une manière de rappel à l'ordre du vivant », explique Adeline Baldacchino. Un « tournant » salutaire, une fin de cycle sans doute dans la vie et l'oeuvre du poète qui, matin après matin, essaie de réaccorder « ses horloges internes » jusqu'à cette affirmation : « La vie a toujours raison. »
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