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Critique de CiliaBrux


Alors, je ne sais pas par quoi commencer. Pour moi ce livre magnifique mérite son propre podium, le ton est donné dès cette citation d'un poème de Baudelaire qui glorifie le côté insaisissable de l'Artiste, toute entière tournée vers la transmission de son art et du partage de son imaginaire, une dimension à part que chaque « mortel » se doit de mériter. Ce recueil est marqué par les rencontres heureuses, miraculeuses ou compliquées que l'on peut faire lorsqu'on cherche sa place dans le monde.

Car il y a ce que la Drag-Queen ressent être tout au fond d'elle-même, mais aussi en coulisse l'apprentissage à travers le maquillage et la danse, et avant tout ce rituel de passage où elle doit « se comprendre elle-même » pour s'accepter. Il y a de la vie, beaucoup de vie dans Mes vies de Drag, de l'éclat, des plumes et des paillettes qui illuminent les ailes de ces beaux oiseaux de la nuit.

La plume de Gaëtan Ballester qui m'avait déjà secouée dans Les morts insignifiants, offre plusieurs façons de rendre hommage à ces grandes dames ou demoiselles au caractère parfois bien trempé, sans omettre leurs vulnérabilités. On le sent un peu intimidé par ses interviews qu'il retranscrit avec une certaine modestie, et porté à la fois par la soif de découvrir et le désir de raconter. Son enthousiasme n'est jamais bien éloigné de l'émotion qu'il distille avec talent, subtile alliance que je ne peux décrire autrement que par ce résumé : ce gars assure grave, sur tous les fronts, que ce soit dans la forme ou dans le fond, sans oublier une parenthèse (enchantée) quant aux illustrations, la couverture est top, les dessins sont juste sublimement exécutés.

Les portraits de nos Drag Queens (oui je dis « nos ») sont authentiquement touchants, et soulignent à quel point la notion d'identité est importante, que ce soit à travers la sublimation physique d'une chrysalide, ou le questionnement de Luis alias saphir Ink sur ce qu'il considère comme sa double identité ou encore le parcours du très attachant Loucas, et cette affirmation péremptoire de la distinguée Lady Blanquette « Ma chérie, que tu le veuilles ou non, tu es une drag-queen. » Je ne cite pas toutes les ladies de ces beaux témoignages car il y a tant à découvrir à travers cette lecture qui vous réservera de nombreuses surprises.

En PS, j'ai particulièrement aimé le petit café pris avec Suzette qui sous sa volubilité étonnante cache une belle élégance et une certaine fragilité.
L'auteur nous fait partager plusieurs quotidiens, parfois précaires, de ses émouvantes protagonistes qui sous une extravagance réjouissante, cachent une pudeur qu'il faut savoir saisir.
Certaines de leurs familles se montrent inconditionnellement aimantes dans l'acceptation de leur choix, mais d'autres font preuve de rigidité, jusqu'au drame. La transmission est présente sous différentes formes, à travers le regard pur des enfants alors que d'autres regards stigmatisent, mais il y a aussi le poids des traditions culturelles, les symboles qui aident à survivre à l'aide d'objets fétiches, des petits signes bienvenus qui sont des clins d'oeil au destin.

J'ai ressenti cette affection qui les unit comme des soeurs, un substitut parfois au lien familial qui fait défaut, et de l'amour avec des rencontres inattendues, des romances qui cafouillent et d'autres qui s'imposent comme de belles évidences, ce sont presque des histoires de l'Amour plus que d'amour. de l'humour aussi, notamment avec la gouaille tendre de Laura, ange gardien meurtri et fil conducteur de ces moments de vies.

Dans Mes vies de Drag, il y a aussi ce besoin de légitimité qui dépend du regard de l'autre. L'un des points brillamment abordé qui m'a le plus plu, c'est ce formidable message vis-à-vis des diversités que les Drag Queens véhiculent : la tolérance est un mot trop peu explicite pour moi, car il signifie presque « supporter la différence de l'autre », et ici il est davantage question d'accueillir sans juger ; quelle belle générosité.

Ce livre n'oublie pas de souligner cet élément crucial qui reflète bien un pan de la société dans laquelle nous sommes immergés malgré nous : l'insécurité actuelle, le harcèlement dans un monde censé être éclairé par la philosophie et le développement personnel, une menace en fond qui fait frémir lorsqu'on a le courage de se révéler tel.le qu'on est, tout simplement. Une phrase m'a particulièrement émue : « J'ai tout donné et ils m'ont tout pris. » C'est pourquoi le message de l'auteur me semble doublement porteur : informer reste la meilleure des choses à accomplir, réussir à sensibiliser comme je trouve qu'il est parvenu à le faire est précieux.

Je ne connais aucune Drag Queen, mais je les imagine comme des reines persistantes aux paupières chancelantes qui offrent leur coeur sur une scène. Et pourtant à travers ces lignes, j'ai eu l'impression qu'elles m'avaient ouvert une porte à leur histoire personnelle, et pour cela je les en remercie.
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