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Critique de jullius


Si La comédie humaine est un des plus imposants et néanmoins somptueux édifices de notre patrimoine littéraire, et consacre Balzac comme l'un des plus brillants tailleurs de pierres, évidemment gravées, que la profession ait eu l'heur de compter, Illusions perdues, dans la cathédrale de ce géant est sans doute un de ses plus beaux vitraux. Il figure au-dessus du porche pour mieux mettre en valeur, de ses feux de lumières aux mille carnations, un chœur puissant cerclé de chapelles toutes plus rayonnantes les unes que les autres. Que d'intelligence, de culture et quel flamboiement constant, du cœur, de l'âme et de l'esprit, tour à tour emportés par les plus touchantes idylles, les plus grandioses sentiments de fraternités, les plus fines observations sur les ressorts de la lutte de chacun contre chacun dans une société d'individus dressés à se combattre plutôt qu'à s'entraider puisque « le succès est la raison suprême de toutes les actions quelles qu'elles soient. Le fait n'est donc plus rien en lui-même, il est tout entier dans l'idée que les autres s'en font ». Là est le fin mot de l'histoire, l'histoire véritable, quoique secrète dit le chanoine Herrera. Là réside la vérité, loin des fadaises de l'histoire officielle. « De-là (…) un second précepte : ayez de beaux dehors ! Cachez l'envers de votre vie et présentez un endroit très brillant » proclame encore le prêtre en guise thèse, expliquant que, à Paris ainsi qu'en province, chez les grands comme chez leurs poursuivants, avec pour premier horizon d'avoir et de le faire savoir, de paraître plutôt que d'être, les énergies se consacrent désormais à médire plus encore qu'à dire (le vrai, le beau, le juste), à défaire bien plus qu'à faire (le bien, l'utile), et à conspirer plus sûrement qu'à œuvrer. Illusions perdues l'illustre avec maestria.
Balzac éclaire son siècle et sa société comme nul autre pareil. Il avait, veut la légende, répondu à qui soulignait son don d'observation, « comment voulez-vous que j'aie le temps d'observer, j'ai à peine celui d'écrire ». Il y avait sans doute là une coquetterie, et peut-être même une farce, car il ne manquait pas d'humour, à laquelle bien des connaisseurs ou faisant profession de leur savoir en littérature se sont faits prendre, plus satisfaits d'être des historiens de l'anecdote que des tâcherons de l’œuvre.
Comment peut-on faire peser du même poids, si ce n'est pour prétendre avoir un avis qui se démarque des apparences, autre manière de paraître plus encore, que Balzac n'est pas réaliste quand, comme ici dans Illusions perdues, il fait la démonstration à longueur de pages maitrisées, de sa connaissance de l'univers de l'imprimerie, de l'édition, du commerce des ouvrages. Il n'en ignore aucun des usages, des valeurs, des mots, des pratiques, des sous-couches culturelles. Il connaît l'histoire des hommes, des idées autant que celle des techniques, des outils et même des matériaux. Et pour chaque classe sociale dont il tire des portraits, c'est avec le même pinceau fin qu'il s'y adonne, soulignant les traits les plus saillants, les expressions caractéristiques, les formules les plus significatives, les habitudes les plus ancrées, restituant les décors et les passés propres à chacune pour mieux donner encore à voir ce que l’œil ne peut pas pénétrer.
Balzac a tout connu, tout vu, tout lu. Il sait tout sur chacun et sur tous. C'est un ogre qui a absorbé le monde puis a eu besoin de se retrancher pour le digérer avant d'en recracher la substantifique moelle, d'en décrire la saveur tragique malgré la comédie que jouent ses contemporains. « Croyez-vous que ce n'est rien que de pénétrer ainsi dans les replis les plus cachés du cœur humain, questionne-t-il, que d'y pénétrer si profondément et de l'avoir ainsi devant soi dans sa nudité ? ». Qu'il ait, pour partager sa clairvoyance et démontrer son savoir, fait appel à une grandiose puissance d'imagination romanesque ne change rien à son réalisme. Qu'il s'attache à faire de ses personnages de idéaux-types ne relativise en rien la précision et la pertinence de son discours, de son intention : tout au contraire. « Penser c'est oublier des différences, c'est généraliser, abstraire » disait Borges. Pour autant, comme dira Taine, son œuvre constitue sans doute le plus grand magasin de documents humains qu'il y ait eu depuis Shakespeare. Et les illusions perdues sont, à soi seul, et plus encore avec Splendeur et misère des courtisanes qui en constitue la suite directe, la plus belle pièce.
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