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Critique de Ys


Ys
21 janvier 2016
Dans la cour d'une imprimerie d'Angoulème, deux amis sont assis sur un banc. Deux poètes, unis dans une même émotion à la lecture des beaux vers d'André Chénier. Lucien a hérité de sa mère la grâce aristocrate des Rubempré et la joliesse des anges ; de son père un bien vilain patronyme, Chardon, qu'il faudrait effacer. Son recueil de poèmes et son roman historique seraient les premières pierres d'une gloire rêvée. Fils d'un ouvrier enrichi, au coeur désséché d'avarice, David s'est ruiné pour racheter à son père cette imprimerie en déclin mais médite une invention brillante pour offrir à son ami les ailes dont il rêve.
Tous deux ont pour eux l'intelligence, le coeur et le talent, mais aucun n'a la tête assez solide pour en tirer profit et échapper aux piège d'une réalité bien éloignée de leurs jeunes illusions.

Grisé par une gloire littéraire locale, Lucien ne tarde pas à abandonner les siens, si dévoués, pour suivre à Paris la belle madame de Bargenton qui n'a pas hésité à se compromettre pour lui. Hélas, à Paris, une dame qui veut tenir sa place dans le Monde ne peut se compromettre avec un petit poétiau provincial du nom de Chardon. A Paris, pour réussir sans protecteurs et sans argent, il faut la constance et l'abnégation d'un héros - ou l'habileté retorse, les louvoiements de l'anguille. Incapable d'héroïsme, Lucien se fera anguille, prostituera son talent pour tenter de parvenir, mais la facilité n'est pas le moindre des pièges que lui tendra la capitale.
Grisé de nobles ambitions, David délaisse les affaires au profit de la recherche, sans comprendre que ses rivaux veulent sa ruine, et saisiront le moindre faux-pas pour le dépouiller de ses idées et de ses derniers biens.
Quelles chances ont-ils, les deux poètes, dans un monde régi par des intérêts sordides qui les dépassent de très loin ? Toutes illusions perdues, il faudra renoncer, périr ou vendre son âme au Diable...

Après ce résumé auquel je me laisse prendre moi-même, j'aurais très envie d'affirmer que c'est là un superbe roman - tant d'ingrédients y concourent ! - mais je suis trop soulagée d'en être enfin venue à bout pour pouvoir me montrer exclusivement enthousiaste. Car si les thèmes sont passionnants, si le destin parallèle de ces deux amis possède l'étoffe des grands drames, elles ont été bien longues, ces 800 pages, en compagnie de personnages m'inspirant aussi peu d'empathie et de compassion.

Victime de son éducation, du décalage entre son caractère, son statut social et les espérances trop grandes que les siens ont placé en lui, l'admiration trop vive qu'ils lui ont trop tôt voué, Lucien a indubitabelement des circonstances atténuantes, mais il apparaît très vite comme un gamin gâté sans consistance, gentil garçon mais un peu fat et vaniteux, pétri de bonnes intentions mais veule et hypocrite. On le dit très beau, gracieux, charmant, mais jamais je n'ai réussi à ressentir ce charme, qui fait une bonne partie de sa puissance et devrait le faire aimer malgré tout. A force de se laisser contredire par ses actes, ses bonnes intentions m'agacent plus qu'elles ne m'incitent à l'indulgence, j'ai bien plus d'estime pour ceux qui font le mal sciemment, volontairement, plutôt que par manque de volonté.
Quant au second poète, David, il est sans doute plus attachant, mais aussi bien moins complexe, trop lisse pour vraiment m'intéresser.
Et puis, au-delà des caractères mêmes, tout est faux, tout est truqué dans cette histoire. La fatalité est en marche, aucun espoir, Balzac ne cesse de nous le laisser entendre. Il vont chuter, se faire broyer. Il ne sont guère que des pantins dont d'autres personnages plus rusés, plus habiles, plus cruels, tirent les fils dans un sens puis dans l'autre. Aucun suspense, et les moyens employés, cet enchevêtrement de magouilles financières et juridiques, m'a souvent perdue en route, comme à chaque fois que 2 et 2 se mettent en tête de faire autre chose que 4.

Restent une peinture vitriolée mais passionnante du monde de l'imprimerie, de l'édition, du journalisme et de la librairie, et une splendide étude de caractères, fine, réaliste, puissante et riche en symboles, dont on pourrait sans doute débattre des heures durant.
Je n'aime pas Lucien, mais lorsqu'à la toute fin il se fait enfin lucide sur lui-même, et d'homme désespéré devient proie délicieuse à saisir, il me touche enfin et me laisse augurer le meilleur pour la suite. Eh ! le meilleur, avec lui, ne peut fatalement naître que du pire - et le pire se profile en l'occurrence dans un de mes personnages balzaciens préférés. Splendeurs et misères des courtisanes m'intrigue plus que jamais - même si je vais avoir besoin d'une pause plus légère avant de m'y lancer.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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