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Critique de Woland


Préface : Bernard Pingaud

ISBN : 978-2070372683

Ambigu, tel est l'adjectif qui me vient tout naturellement sous mon clavier lorsque je m'attelle à la fiche relative à ce roman épistolaire De Balzac. Oui, pour une fois, l'auteur renonce à son statut de narrateur omniscient et adopte le "Je" et même un double "Je" puisque ces "Mémoires" reprennent, à de rares exceptions près, les lettres échangées par deux amies de couvent, Armande-Louise de Chaulieu, la Blonde et Renée de Maucombe, la Brune. Balzac passe donc d'un point de vue à un autre avec cette admirable facilité qu'il possède à se glisser dans l'esprit féminin.

Louise de Chaulieu porte un grand nom. Son père est duc, un ancien émigré qui recouvrera bientôt suffisamment d'argent pour entreprendre les réparations de l'hôtel particulier familial, où il s'est réinstallé lors de la Restauration de Louis XVIII. de sa grand-mère, qui se poudrait encore à la maréchale, comme on le faisait au XVIIIème siècle, elle a hérité une importante fortune que son père espère lui voir abandonner afin de la dresser en majorat pour son cadet - ce qu'elle finira d'ailleurs par faire pour le bien de tous. de cette grand-mère tant aimée, la jeune fille a aussi hérité le caractère : fort, indomptable, et une façon quasi unique et très "Ancien Régime" de faire la révérence. Pour le reste, Louise est, on le comprend très vite, du haut de sa fierté, une incroyable et incurable narcissique. Enfin, c'est ainsi que nous dirions aujourd'hui . Avec son amie Renée, elle a passé ses années de couvent à rêver à la vie qu'elle se ferait lorsqu'elle serait libre de ses mouvements - et, bien sûr, à l'amour. Louise veut être adorée, aimée pour elle-même. Elle veut dominer et non être dominée. Elle veut un amour exceptionnel et elle finit par le rencontrer en la personne d'un ancien Grand d'Espagne, le baron de Macumer, qui a cédé son titre de duc de Soria à son cadet en raison de désaccords prononcés avec cette curieuse figure bourbonienne que fut Ferdinand VII, remis sur le trône d'Espagne à la chute de Napoléon. Autant Louise est belle, autant Macumer est laid (petit, de physique moyen, plus âgé qu'elle) mais, entre les deux personnages, la fusion se fait tout naturellement : si elle veut dominer et être adorée, lui veut être dominé et adorer. Pendant plusieurs années, le baron et la baronne de Macumer formeront l'un des couples les plus en vue du Paris mondain. Devenue veuve et restée sans enfants, Louise, d'abord écrasée de chagrin, se remariera avec Gaston Marie, un poète de bonne famille (mais néanmoins roturier) et ira s'enterrer à quelques kilomètres de Paris, avec, cette fois-ci, l'intention d'adorer et d'être dominée. Ca tombe bien : Gaston Marie est d'accord . Mais la jalousie, dont cette narcissique chronique de Louise n'a jamais pu se débarrasser, vient briser leur bonheur. On tombe alors dans le mélo : sur des soupçons infondés de l'adultère de son cher époux, la jeune femme se rend poitrinaire en quelques jours et décède dans les bras de Renée, qu'elle a appelée à son chevet.

A l'inverse de Louise, Renée de Maucombe porte un nom plus humble (quoique bien connu depuis le roi René) et, à peine sortie du couvent, accepte, parce qu'elle est sans dot, d'épouser Louis de l'Estorade, de vingt ans son aîné, qui a connu bien des malheurs, notamment sous Napoléon. Je vous passe les détails mais la santé du malheureux en a pris un coup. Renée, elle l'écrit clairement, n'aime pas Louis (qui, par contre, est amoureux de sa jeune femme) mais elle possède un sens du devoir tel que, peu à peu, ainsi qu'il doit se passer dans tout mariage dit "de raison", elle finit par éprouver envers lui au moins une certaine affection. Balzac est très subtil lorsqu'il nous fait comprendre que, si Louise la Voluptueuse a trouvé en Macumer un amant à sa mesure, et ce, dès la nuit de noces, Renée, elle, a été pratiquement rebuté par l'acte qui, pour elle, ne restera que le "devoir" conjugal. Fort heureusement, il y a, pour l'occuper, adoucir son horizon et lui faire aimer l'existence que lui ont choisie ses parents, la perspective de remettre sur pieds le domaine des l'Estorade et, bien entendu, celle de la maternité. Elle aura d'ailleurs trois enfants de son mari, Armand (filleul de Louise de Macumer), Jeanne-Athénaïs et enfin le petit René. Très moderne en cela, Renée veille à les élever le plus près d'elle : elle est, disons-le, mère avant que d'être amante ou même épouse. Son mari, qui l'adore autant que Macumer adorait sa propre épouse, ne s'aperçoit de rien et, partant, n'en prend pas ombrage. Il faut dire aussi à sa décharge que, du fond de sa Provence, Renée se démène comme un beau Diable pour, par l'intermédiaire, entre autre, de Louise et de sa puissante famille, faire nommer son mari pair de France et le faire pourvoir d'un poste important (et inamovible, oh ! la rusée Renée ! ) à la Cour des Comptes. Sans état d'âme d'ailleurs - ce que lui reprochera Louise, restée fidèle aux Bourbons - Renée de l'Estorade fera passer son mari dans l'administration de la Monarchie de Juillet, la branche cadette valant bien à ses yeux la branche aînée lorsqu'il s'agit du bien-être et de l'avenir de sa chère petite famille.

D'un côté donc, la Passion et l'Excès. de l'autre, la Modestie et le Devoir.

Balzac les oppose avec, je le répète, la subtilité qu'on lui connaît dans ses portraits de femmes mais, quand je parle d'ambiguïté, c'est que, qu'il s'agisse des lettres de Louise ou de celles de Renée, on y trouve toujours, parfois de manière flagrante, parfois de manière larvée, une espèce de jalousie mutuelle. Sans se l'avouer et sans vouloir renier ce qui fait leurs propres qualités, ces dames s'envient mutuellement ce qu'elles n'ont pas et n'auront jamais - et qui est d'ailleurs incompatible avec leur nature avouée. Parler de Devoir et de Famille à une Narcissique obsédée par le Plaisir sous toutes ses formes et par la nécessité de briller et d'être la Plus Belle, la Plus Regardée, la Mieux Aimée, c'est adopter un ton sentencieux et quelque peu déplaisant dans lequel, on le sent bien, se délecte Renée - Mme de Genlis n'est pas si loin ... D'un autre côté, évoquer ses passions charnelles, avec Macumer ou avec Gaston, ses voyages, sa brillante vie mondaine ou, au contraire, sa retraite dans un lieu paisible où elle déclare vouloir "cacher son bonheur" de telle manière que Renée y devient même indésirable, c'est, pour Louise, faire preuve d'une malice non exempte d'une méchanceté certaine quand elle les décrit à ce parangon de vertus familiales et maternelles que représente sa vieille amie.

Pourtant, bien sûr, il arrive que, dans les moments de tristesse (comme les convulsions du petit Armand, les jalousies de Louise envers Gaston quand elle le suspecte de le tromper et même d'être bigame, et, bien sûr, le décès de Louise), ces deux âmes, qui se sont unies par quelque mystère étrange et inexpliqué bien que, dans le fond, elles fussent si profondément opposées, se retrouvent et volent au secours l'une de l'autre.

La Vie : une fois de plus, Balzac la décrit telle qu'elle apparaît parfois, quand votre meilleure amie est aussi votre pire ennemie, quand l'imperfection et l'inégalité des sentiments humains s'étalent sans complexes. Un livre à lire, et à relire même, afin de bien s'imprégner de l'étrange climat qui le baigne et dont on ne s'apercevra peut-être pas lors d'une seule lecture. Mais un livre à réserver aux inconditionnels De Balzac, sans nul doute aussi.

Balzac : l'écrivain du XIXème siècle qui connaissait le mieux les femmes .... ;o)
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