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Critique de Woland


Woland
24 décembre 2016
ISBN DE REFERENCE DE L'OUVRAGE IMPRIME : 1532883765

Attention ! Spoilers !


Ce que j'ai toujours entendu dire sur cette petite merveille De Balzac, c'est que, ténébreuse, cette affaire l'était parfois tellement que, en dépit du génie de l'auteur, il était parfois difficile d'en bien saisir le comment et le pourquoi. Je commencerai donc sans barguigner par ce "pourquoi" qui vous permettra, à toutes et à tous, de mieux comprendre ce qui est, à mon sens, l'un des meilleurs livres de son auteur mais qui pose le problème, pour le lecteur non féru d'Histoire (et même pour celui qui s'y connaît assez bien mais qui n'est pas un spécialiste averti de la période en cause), de se baser sur une intrigue historique réelle qui a eu le tort de se dérouler à une époque durant laquelle la situation politique était particulièrement compliquée en France.

Nous procèderons donc par un retour en arrière, en juin 1800, année où les redoutables Fouché, Talleyrand et Sieyès craignent beaucoup que le Directoire, dont ils tirent les ficelles, ne vole tout à fait en éclat si Bonaparte est défait en Italie, l'armée française ratiboisée ... et les Bourbons remis sur le trône de leurs ancêtres. Sieyès en tient encore pour la République ou plutôt, comme Balzac le lui fait dire avec cynisme, pour "le pouvoir", ce pouvoir auquel cet ancien abbé corrompu, auteur de la fameuse formule : "Qu'est le Tiers-Etat à ce jour ? Tout. Qu'a-t-il été jusque là ? Rien. Que demande-t-il ? A être quelque chose", voue désormais autant de prix qu'à sa propre vie. Fouché, plus fin et plus énigmatique, parle, lui, de la République - en tous cas, selon Balzac, qui admire le Politique tout en déplorant le caractère sournois de l'homme tout court. Quant au prince de Talleyrand, sans doute l'un des plus grands hommes d'Etat que nous ayons eus, bien qu'aussi corrompu que les autres, sinon plus, il affirme (et il a raison, sur ce plan, il aura toujours raison, ce qui explique et peut parfois justifier ses volte-faces) que la France seule est en jeu. Il faut la sauver. Car aucun, parmi les membres de ce "brelan de prêtres", ainsi que les surnomme Carnot, ministre de la Guerre, qui les a rejoints dans le petit boudoir où ils se sont retirés pour discuter de l'avenir, ne croit encore au succès de Bonaparte. Ils ont tort, L Histoire ne va pas tarder à le leur prouver et le Premier Consul a encore bien des beaux jours devant lui. Mais en cette soirée de 1800, c'est vrai que ceux qui ne voient pas, dans le ciel clair, la fameuse étoile qu'il est seul à distinguer, ont le droit de douter de l'ancien "Petit Caporal" corse, plus français que bien des "Français" qui se prétendent tels de nos jours ...

Sous l'impulsion (majeure) des trois prêtres défroqués, de Carnot et de l'ancien Conventionnel Clément de Ris (Malin dans l'ouvrage), qui se trouve par hasard dans la pièce, où il s'était allongé sur un petit divan pour prendre du repos, cette étrange réunion imagine alors d'abandonner tout simplement Bonaparte s'il revient en vaincu. Sinon, bien sûr, ils l'"adoreront", comme le dit ironiquement mais fort justement Malin. Mais Fouché, toujours prudent, veut préserver ses arrières. Naît alors l'idée d'un complot, qu'on imputerait aux anciens Montagnards (= les Jacobins), dont les derniers représentants ont été mis en déroute non seulement par Thermidor mais aussi par le coup d'Etat du 18 Brumaire, tout en laissant planer sur lui l'ombre des émigrés royalistes (dont les Condés et le duc d'Enghien). Aussitôt conçu, aussitôt accompli : on presse un imprimeur dont les sympathies vont à la République et on lui fait imprimer affiches, libelles, ordres, enfin, toutes paperasseries mettant à l'index les "factieux du 18 Brumaire", au premier rang desquels se trouve, et pour cause, le futur Napoléon Ier. Fouché s'arrange ainsi pour impliquer étroitement dans l'affaire un Malin qui, lui, n'a pas voté la mort de Louis XVI et à qui il resterait donc une chance de se mettre bien avec les Bourbons au cas où ...

Je vous passe les détails, Balzac vous les donnera bien mieux que moi dans sa conclusion à sa "Ténébreuse Affaire" - dont le premier chapitre débute tout de même trois ans plus tard - mais rappelez-vous que Marengo éclate comme une explosion gigantesque et que c'est en vainqueur que Bonaparte revient d'Italie, mettant en échec le complot de ses "amis" qu'il flaire comme il flairera toujours les manoeuvres de Fouché et de Talleyrand. Malin, lui, n'a pas attendu de pouvoir féliciter le Premier Consul pour enfourner les affiches et papiers divers par ballots dans des charrettes qu'il escorte précipitamment jusqu'au château de Gondreville, un bien national qu'il a fait racheter par un homme de paille, Marion, et où il enterre ces preuves encombrantes qui le mettent désormais à la merci non seulement de Bonaparte mais surtout du terrible Fouché - on peut admirer le génie d'un homme et le trouver terrible. Et Fouché, quoique excellent époux et bon père si mes souvenirs sont bons, fut un homme terrible.

Cependant, maintenant que le lièvre du complot a été soulevé - Lucien, frère de Bonaparte et alors ministre de l'Intérieur, avait laissé entendre à son frère que mieux valait avoir l'oeil sur le fameux "brelan" et l'avertissement n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd - il faut bien parer au danger. Se monte alors la fameuse affaire qui mènera à l'exécution du duc d'Enghien dans les fossés de Vincennes (par cet acte, qui lui était imposé, Napoléon, lequel n'avait pas, lui non plus, trempé ses mains dans le sang du Roi-Martyr, rompt pour toujours avec les Bourbons).

Sur ce canevas des plus compliqués - et que l'éloignement dans le temps rend encore plus complexe surtout compte tenu de la façon dont désormais l'on enseigne L Histoire dans notre pays - Balzac improvise, avec le génie qui lui est propre, une intrigue qui la relie, donc trois ans plus tard, à l'enlèvement de Malin, devenu comte de Gondreville, soit-disant par des émigrés rentrés en grâce (en réalité par cinq séides de Fouché, toujours lui), les Simeuse et les d'Hauteserre, avec, pour serviteur complaisant, le garde-chasse Michu, ancien Jacobin en apparence mais qui n'a, en réalité, jamais cessé d'être fidèle à la maison de Simeuse. Un par un, se dévoilent avec grâce et vigueur tous les éléments d'un roman unique, intrigant, lyrique, bourré de détails historiques et qui nous laisse bien voir l'admiration que Balzac, comme tant de ses contemporains (et des nôtres) n'ont jamais cessé de vouer à l'Empereur, quelles qu'eussent été les défauts et les erreurs de celui-ci.

Un livre à lire soit en prenant des notes, soit deux fois, pour mieux saisir l'importance de cette époque si troublée et primordiale pour notre Histoire, où tout restait possible et où l'on ne savait pas toujours de quoi demain serait fait. Une époque dont on peut regretter l'insécurité mais plus encore la grandeur en espérant que cette grandeur, cette puissance et ce prestige, que nos Rois d'abord, la République ensuite mais surtout Bonaparte, puis l'Empereur donnèrent à notre pays, reviendront un jour en pleine propriété à la France.

Que ce soit notre voeu privilégié à toutes et à tous en ce Noël 2016 - avec celui qu'un nouveau Balzac se révèle en ce XXIème siècle pour la plus grande gloire de notre Littérature ! ;o)
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