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René Guise (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070364688
305 pages
Gallimard (26/09/1973)
3.61/5   223 notes
Résumé :
Dans Une ténébreuse affaire, l'un des volumes les moins connus de la Comédie humaine, Balzac utilise un fait divers - l'enlèvement mystérieux, sous le Premier Empire, d'un sénateur averti du complot ourdi par Fouché contre Napoléon Bonaparte - pour écrire un livre où il met son talent romanesque au service d'une intrigue politique et policière.
Les personnages historiques semblent en effet tirer ici toute leur substance de créatures de papier aussi présentes ... >Voir plus
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ISBN DE REFERENCE DE L'OUVRAGE IMPRIME : 1532883765

Attention ! Spoilers !


Ce que j'ai toujours entendu dire sur cette petite merveille De Balzac, c'est que, ténébreuse, cette affaire l'était parfois tellement que, en dépit du génie de l'auteur, il était parfois difficile d'en bien saisir le comment et le pourquoi. Je commencerai donc sans barguigner par ce "pourquoi" qui vous permettra, à toutes et à tous, de mieux comprendre ce qui est, à mon sens, l'un des meilleurs livres de son auteur mais qui pose le problème, pour le lecteur non féru d'Histoire (et même pour celui qui s'y connaît assez bien mais qui n'est pas un spécialiste averti de la période en cause), de se baser sur une intrigue historique réelle qui a eu le tort de se dérouler à une époque durant laquelle la situation politique était particulièrement compliquée en France.

Nous procèderons donc par un retour en arrière, en juin 1800, année où les redoutables Fouché, Talleyrand et Sieyès craignent beaucoup que le Directoire, dont ils tirent les ficelles, ne vole tout à fait en éclat si Bonaparte est défait en Italie, l'armée française ratiboisée ... et les Bourbons remis sur le trône de leurs ancêtres. Sieyès en tient encore pour la République ou plutôt, comme Balzac le lui fait dire avec cynisme, pour "le pouvoir", ce pouvoir auquel cet ancien abbé corrompu, auteur de la fameuse formule : "Qu'est le Tiers-Etat à ce jour ? Tout. Qu'a-t-il été jusque là ? Rien. Que demande-t-il ? A être quelque chose", voue désormais autant de prix qu'à sa propre vie. Fouché, plus fin et plus énigmatique, parle, lui, de la République - en tous cas, selon Balzac, qui admire le Politique tout en déplorant le caractère sournois de l'homme tout court. Quant au prince de Talleyrand, sans doute l'un des plus grands hommes d'Etat que nous ayons eus, bien qu'aussi corrompu que les autres, sinon plus, il affirme (et il a raison, sur ce plan, il aura toujours raison, ce qui explique et peut parfois justifier ses volte-faces) que la France seule est en jeu. Il faut la sauver. Car aucun, parmi les membres de ce "brelan de prêtres", ainsi que les surnomme Carnot, ministre de la Guerre, qui les a rejoints dans le petit boudoir où ils se sont retirés pour discuter de l'avenir, ne croit encore au succès de Bonaparte. Ils ont tort, L Histoire ne va pas tarder à le leur prouver et le Premier Consul a encore bien des beaux jours devant lui. Mais en cette soirée de 1800, c'est vrai que ceux qui ne voient pas, dans le ciel clair, la fameuse étoile qu'il est seul à distinguer, ont le droit de douter de l'ancien "Petit Caporal" corse, plus français que bien des "Français" qui se prétendent tels de nos jours ...

Sous l'impulsion (majeure) des trois prêtres défroqués, de Carnot et de l'ancien Conventionnel Clément de Ris (Malin dans l'ouvrage), qui se trouve par hasard dans la pièce, où il s'était allongé sur un petit divan pour prendre du repos, cette étrange réunion imagine alors d'abandonner tout simplement Bonaparte s'il revient en vaincu. Sinon, bien sûr, ils l'"adoreront", comme le dit ironiquement mais fort justement Malin. Mais Fouché, toujours prudent, veut préserver ses arrières. Naît alors l'idée d'un complot, qu'on imputerait aux anciens Montagnards (= les Jacobins), dont les derniers représentants ont été mis en déroute non seulement par Thermidor mais aussi par le coup d'Etat du 18 Brumaire, tout en laissant planer sur lui l'ombre des émigrés royalistes (dont les Condés et le duc d'Enghien). Aussitôt conçu, aussitôt accompli : on presse un imprimeur dont les sympathies vont à la République et on lui fait imprimer affiches, libelles, ordres, enfin, toutes paperasseries mettant à l'index les "factieux du 18 Brumaire", au premier rang desquels se trouve, et pour cause, le futur Napoléon Ier. Fouché s'arrange ainsi pour impliquer étroitement dans l'affaire un Malin qui, lui, n'a pas voté la mort de Louis XVI et à qui il resterait donc une chance de se mettre bien avec les Bourbons au cas où ...

Je vous passe les détails, Balzac vous les donnera bien mieux que moi dans sa conclusion à sa "Ténébreuse Affaire" - dont le premier chapitre débute tout de même trois ans plus tard - mais rappelez-vous que Marengo éclate comme une explosion gigantesque et que c'est en vainqueur que Bonaparte revient d'Italie, mettant en échec le complot de ses "amis" qu'il flaire comme il flairera toujours les manoeuvres de Fouché et de Talleyrand. Malin, lui, n'a pas attendu de pouvoir féliciter le Premier Consul pour enfourner les affiches et papiers divers par ballots dans des charrettes qu'il escorte précipitamment jusqu'au château de Gondreville, un bien national qu'il a fait racheter par un homme de paille, Marion, et où il enterre ces preuves encombrantes qui le mettent désormais à la merci non seulement de Bonaparte mais surtout du terrible Fouché - on peut admirer le génie d'un homme et le trouver terrible. Et Fouché, quoique excellent époux et bon père si mes souvenirs sont bons, fut un homme terrible.

Cependant, maintenant que le lièvre du complot a été soulevé - Lucien, frère de Bonaparte et alors ministre de l'Intérieur, avait laissé entendre à son frère que mieux valait avoir l'oeil sur le fameux "brelan" et l'avertissement n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd - il faut bien parer au danger. Se monte alors la fameuse affaire qui mènera à l'exécution du duc d'Enghien dans les fossés de Vincennes (par cet acte, qui lui était imposé, Napoléon, lequel n'avait pas, lui non plus, trempé ses mains dans le sang du Roi-Martyr, rompt pour toujours avec les Bourbons).

Sur ce canevas des plus compliqués - et que l'éloignement dans le temps rend encore plus complexe surtout compte tenu de la façon dont désormais l'on enseigne L Histoire dans notre pays - Balzac improvise, avec le génie qui lui est propre, une intrigue qui la relie, donc trois ans plus tard, à l'enlèvement de Malin, devenu comte de Gondreville, soit-disant par des émigrés rentrés en grâce (en réalité par cinq séides de Fouché, toujours lui), les Simeuse et les d'Hauteserre, avec, pour serviteur complaisant, le garde-chasse Michu, ancien Jacobin en apparence mais qui n'a, en réalité, jamais cessé d'être fidèle à la maison de Simeuse. Un par un, se dévoilent avec grâce et vigueur tous les éléments d'un roman unique, intrigant, lyrique, bourré de détails historiques et qui nous laisse bien voir l'admiration que Balzac, comme tant de ses contemporains (et des nôtres) n'ont jamais cessé de vouer à l'Empereur, quelles qu'eussent été les défauts et les erreurs de celui-ci.

Un livre à lire soit en prenant des notes, soit deux fois, pour mieux saisir l'importance de cette époque si troublée et primordiale pour notre Histoire, où tout restait possible et où l'on ne savait pas toujours de quoi demain serait fait. Une époque dont on peut regretter l'insécurité mais plus encore la grandeur en espérant que cette grandeur, cette puissance et ce prestige, que nos Rois d'abord, la République ensuite mais surtout Bonaparte, puis l'Empereur donnèrent à notre pays, reviendront un jour en pleine propriété à la France.

Que ce soit notre voeu privilégié à toutes et à tous en ce Noël 2016 - avec celui qu'un nouveau Balzac se révèle en ce XXIème siècle pour la plus grande gloire de notre Littérature ! ;o)
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Mazette, ça c'est de l'intrigue!
Après avoir lu la biographie de Fouché par Stefan Zweig, qui cite à plusieurs reprises les mots De Balzac sur le bonhomme dans "Une ténébreuse affaire", j'avais envie de voir en situation la rouerie machiavélique que Fouché a la réputation de mettre en oeuvre dans la conduite des affaires de l'Etat.
Le moins qu'on puisse dire est que j'ai été servie ! Doubles rôles, espions, police et contre-police, billard à trois bandes, le fond de l'affaire est si tortueux que je serais bien en peine de la résumer. L'histoire se suit pourtant très bien, et sur un rythme trépidant qui fait que l'on ne s'ennuie pas une seconde malgré sa complexité.
Mais ce qui ressort surtout de ce grand roman historique, c'est le visage brouillé d'une France arrivée à une page déterminante de son histoire où l'on sent, Napoléon n'étant pas encore pleinement assis sur son trône, que tout peut basculer entre royalistes et républicains, et que dans cette instabilité seuls des hommes d'une envergure hors normes pouvaient tenir la barre. Impressionnant!
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L'action se situe pendant le Consulat et le début de l'Empire. Elle s'inspire de faits réels, un complot visant à remplacer Bonaparte s'il revenait vaincu de la campagne d'Italie.
Faisant intervenir quelques personnages historiques tels Talleyrand et Fouché, le roman met surtout en scène des personnages fictifs, nobles fidèles à la royauté : les jumeaux de Simeuse, dont les parents ont été exécutés, la famille d'Hauteserre, et surtout Laurence de Cinq Cygne, ou gens de maison prêts à tous les sacrifices pour les familles qu'ils servent, tel Michu.
Émigrés les frères Simeuse et d'Hauteserre sont revenus en France, pour participer à un attentat contre Napoléon. Mais l'attentat étant découvert, Laurence de Cinq Cygne les fait prévenir et les cache, battant en brèche Corentin et Peyrade, deux policiers qui n'oublieront pas cette humiliation.
Plus tard les jeunes nobles se résoudront à demander leur amnistie à Bonaparte mais se retrouvent victimes d'une machination, l'enlèvement du Sénateur Malin, ourdi en haut lieu, et dont ils ne savent rien.
Un des thèmes est le choix entre s'adapter aux évènements contraires à nos idées et désirs et sans y adhérer tâcher de vivre le moins mal possible (dans l'ensemble la vieille génération dans ce roman) ou rester inflexiblement fidèle et risquer de perdre la vie (les jeunes).
Il y a de nombreux rebondissements dans cet ouvrage, certainement plus facile à lire du vivant De Balzac où des allusions à des évènements ou des personnages trouvaient sans doute plus de résonance qu'ils n'en ont trouvé chez moi. A cette réserve près un excellent roman.


Challenge 19ème siècle
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Si le roman policier est bien « un récit consacré avant tout à la découverte méthodique et graduelle, par des moyens rationnels, des circonstances exactes d'un événement mystérieux », selon la définition d'un spécialiste (Régis Messac), alors "Une ténébreuse affaire" De Balzac relève bien du genre, dans l'un de ses variants, le roman policier sans meurtre ("a detective novel without a murder"). On peut même dire qu'il l'inaugure.

Ténébreuse, c'est le moins que l'on puisse dire de l'affaire qu'il évoque. Taine prétendait qu'il fallait être magistrat pour lire le roman. le philosophe Alain est plus rassurant : « lorsqu'on le lit d'abord sans comprendre ce qu'il s'y trouve à comprendre, comme il m'est arrivé, eh bien, même alors, la perception de l'ensemble est juste » (Avec Balzac). Il ajoute en avoir parlé avec Paul Valéry qui lui a confié avoir éprouvé à sa lecture, en 1933, "le choc du grand art".

Aujourd'hui, le lecteur investigateur trouvera la pelote démêlée dans l'article de Wikipédia consacré à l'affaire. Reste à savoir ce qui peut encore séduire le lecteur d'aujourd'hui ?

Peut-être une sorte de style cinématographique. Dans la (trop) longue première partie, il y a les portraits. Les uns après les autres, les protagonistes entrent dans le champ, un peu comme dans celui d'une caméra, avec tous les détails de leur costume, qui permet de ne rien ignorer de la mode du temps et de la condition sociale du personnage. Car chez Balzac, l'habit fait le moine, autant que ses rentes. Fasciné par les théories du médecin allemand Franz Joseph Gall et du théologien suisse Johann Caspar Lavater, Balzac est un adepte de la physiognomonie. Certaines de ses notations annoncent Lombroso, comme le portrait de Michu avec sa carabine : " le cou, court et gros, tentait le couperet de la Loi". Ses personnages évoquent autant ceux croqués par son contemporain Daumier, que des acteurs de westerns : à chaque description on entend comme une petite musique lancinante, à la Sergio Leone. C'est que les accessoires, détaillés avec complaisance, dessinent en creux le caractère. Au-delà de l'imbroglio, comme dans les films d'action, il y a les bons et les méchants, chamarrés en conséquence. Laurence, Comtesse de Cinq-Cygne se donne des airs d'héroïne, amazone à cheval, maniant les armes et cravachant le fourbe Corentin. On voit bien, dans le rôle, la Sophie Marceau du film "La fille de Dartagnan" ou de "Chouans !" -d'après le roman du même Balzac-. On retrouve un peu, mais presque un demi-siècle plus tard, l'atmosphère des aventures de Nicolas le Floch, telles qu'aimait les narrer Jean-François Parot. L'étonnant est que le roman n'ait pas inspiré autre chose qu'un téléfilm en 1975.
L'amateur de scrabble se réjouira de collectionner, comme dans tout roman De Balzac, les mots rares, comme les beaux coquillages de la plage : mirliflor, Ménichmes, aîtres, poucettes... qui appellent au secours un bon dictionnaire et démontrent qu'on a jamais fini d'apprendre sa propre langue !
Le bonapartiste s'émerveillera de la rencontre au sommet entre Laurence de Cinq-Cygne et Napoléon, à Iéna. Dans l'instant décisif, en un échange digne de la prose des Antimémoires, le grand homme qui, selon Hegel, "assis sur un cheval, s'étend sur le monde et le domine" déclare : « On doit mourir pour les lois de son pays, comme on meurt ici pour sa gloire ». Grandeur ou cynisme ? À chacun d'en juger. Mais pour la mise en scène, la réussite est certaine. Pauvre Fabrice qui n'a rien vu de Waterloo ! le lecteur d'aujourd'hui est là au cinéma, dans une superproduction ! Dans son Journal inédit, le philosophe Alain compare ce roman De Balzac à celui de Joseph Conrad : le frère de la Côte, qui met en scène le capitaine Vincent et l'illustre Nelson, à la manière de la rencontre d'Iéna, avec "cette liaison entre les scènes d'histoire et les passions secrètes".
Le juriste, dont parlait Taine, se régalera de son côté à voir fonctionner la complexe procédure pénale d'avant le code de 1808, mélangeant le tribunal criminel du code de brumaire an IV et la cour spéciale de la loi du 18 pluviôse an IX. Les précautions procédurales n'empêchent pas la corruption des juges, taraudés par l'avancement : Lescheneau, directeur du jury de Troyes est nommé procureur général en Italie, ce qui ne lui portera pas bonheur. le juge de paix Pigoult devient président du tribunal d'Arcis. Pour Balzac, qui n'a jamais été progressiste -c'est peu de le dire-, il y a comme une jubilation à suivre la course folle de la procédure, nostalgique du costume judiciaire, du crucifix en salle d'audience et du huis-clos ! Au passage, on admire le portrait de Fouché "génie purement ministériel, essentiellement gouvernemental".
L'historien admirera l'art de l'auteur pour faire émerger quelques traits saillants de la période : la conquête funambulesque du pouvoir par un Bonaparte en équilibre instable sur le fil fragile de ses victoires militaires. On croit reconnaître, dans l'adulation du vainqueur de Marengo et de tant d'autres inscriptions sur l'Arc de Triomphe, l'enthousiasme des supporters d'une équipe gagnante dans un tournoi international. Mais au premier échec, l'entraineur serait remercié ! le roman fait bien apparaître, en toile de fond, le ressort essentiel de la Révolution français que fut la vente des biens décrétés "nationaux". Malin, qui s'est approprié la terre de Gondreville, est l'illustration du dévoiement d'une opération de redistribution qui se voulait vertueuse. Les Simeuses et les Hauteserre, comme les Chouans, n'y voient qu'une spoliation, justifiant tous les complots. Balzac est toujours à son affaire pour mettre en scène la confrontation des intérêts.

Le curieux trouvera enfin matière à réflexion dans la préface, souvent négligée par les éditions modernes, car un peu longue et embarrassée. Elle dit pourtant beaucoup de la méthode De Balzac, qui consiste à transposer un fait vrai. On dirait aujourd'hui, moins élégamment, qu'il fictionnalise le fait divers. Une littérature en quête d'enquête... Car son roman est l'histoire d'une affaire aujourd'hui oubliée, concernant Clément de Ris. Elle avait fait quelque bruit en 1800, et résonné longtemps après, durant le XIXe siècle. Pour Balzac, cette affaire incroyable méritait une transposition romanesque, précisément parce que "le vrai n'était pas probable". Dans sa préface, Balzac analyse une seule de ses sources, sans les livrer toutes. Une autre, plus tardive, lui a inspiré la figure des jumeaux Marie-Paul et Paul-Marie de Simeuse : c'est la condamnation à mort des frères César et Constantin Faucher, les "jumeaux de la Réole", fusillés sur décision d'un conseil de guerre le 27 septembre 1815, à l'époque de la terreur blanche à Bordeaux. La funeste mésaventure de ces deux inséparables, devenus tous les deux généraux au début de la Révolution, fusillés pour n'avoir pas été assez prompt à acclamer le retour du Roi à la Restauration, vient assaisonner l'affaire Clément de Ris pour mieux brouiller les pistes.

Il y a donc beaucoup d'autres fils à tirer que ceux qui enserrent la ténébreuse affaire et le lecteur curieux trouvera de nombreuses portes dérobées ouvrant sur l'autres aventures...
Lien : https://diacritiques.blogspo..
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Paru en 1841, « Une ténébreuse affaire » figure, suivant la volonté De Balzac, dans les « Scènes de la vie politique », avec entre autres « Un épisode sous la Terreur », « le Député d'Arcis » et « Z. Marcas ». Il est bien évident que le propos politique sous-tend tout le roman : C'est une histoire de magouilles à tiroirs qui couvre quatre régimes gouvernementaux : le Consulat (l'histoire commence en 1803), l'Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet (l'épilogue se termine en 1833).
A la manoeuvre, une vieille connaissance, Corentin (oui, celui des « Chouans »), flic plus ou moins ripou, muscadin apprêté mais sans scrupules, probablement fils naturel de fouché (les chiens ne font pas les chats, et les loups ne font pas des agneaux). Là, en honnête républicain qu'il est, il essaie de coincer un réseau de royalistes, où figurent deux jumeaux, les frères Simeuse, une belle amazone, Laurence de Saint-Cygne, et un brave garçon, Michu. N'y arrivant pas il monte un ingénieux stratagème en les accusant de l'enlèvement d'un certain Malin de Gondreville (en fait celui-ci a été enlevé sur l'ordre de fouché, pour récupérer des papiers compromettants relatifs à une autre affaire quelques années auparavant). Vous voyez le pastis. La belle Laurence va jusque sur le champ de bataille d'Iéna pour demander grâce à Napoléon pour ses complices…
Pour être ténébreuse, cette affaire, elle est ténébreuse ! Si les personnages sont bien marqués (on sait vite qui sont les gentils et les méchants), les méandres de l'intrigue, les détours, les chaussetrapes, les espions, les agents doubles, les manipulations en tous genres, font que le lecteur a quelque mal à suivre l'histoire d'un point de vue euh rectiligne.
Donc roman politique, sans aucun doute, une autre variation des Blancs conte les Bleus (comme dans « Les Chouans » : républicains contre royalistes, mais en moins guerrier et en plus tordu). Et puis aussi roman historique : Balzac brosse les quatre période historiques en en faisant ressortir la spécificité à travers quelques figures de l'époque : celle qui écrase le roman, qui figure en filigrane derrière les évènements, c'est Napoléon. Premier consul puis empereur, c'est lui le juge suprême. Et dans l'ombre du Petit Caporal, l'ignoble fouché. Relisez la biographie de ce triste personnage par Stefan Zweig, vous verrez que l'immense écrivain autrichien y fait souvent référence à Balzac et à sa « Ténébreuse affaire ». L'épilogue, où le comte de Marsay (oui, celui de « l'Histoire des Treize ») révèle les détails de l'affaire, est significative à cet égard : c'est un « brelan de prêtres » (Talleyrand, fouché, Sieyès) qui est à l'origine de l'ascension de Napoléon
Roman politique, roman historique, roman policier, également. Et même roman d'espionnage. On est comme au billard, ou aux échecs, ou à certains jeux de cartes : les coups se jouent à plusieurs bandes, à plusieurs tours d'avance, au bluff et à l'entourloupe.
Balzac, narrateur apparemment en dehors de l'histoire, ne prend parti ni pour les uns ni pour les autres. Cependant il ne peut cacher l'admiration qu'il a pour Napoléon : c'est un héros, c'est une stature, il est au-dessus des humains.
« Une ténébreuse affaire » n'est certes pas le plus connu des romans De Balzac, en raison précisément de son caractère ténébreux. Il vaut cependant la peine d'être lu, pour les personnages : Corentin, le flic dandy que nous avons vu dans « Les Chouans » et que nous reverrons dans « Splendeurs et misères des courtisanes », et surtout Laurence de Saint-Cygne, l'amazone des royalistes, aussi belle que courageuse, un magnifique portrait de femme !
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Citations et extraits (49) Voir plus Ajouter une citation
Et celui d'un personnage bien moins sympathique, quoique de physique plus agréable, qu'on retrouvera dans "Les Chouans", Corentin :


[...] ... L'autre, dont le costume était dans le même goût, mais élégant et très-élégamment porté, soigné dans les moindres détails, qui faisait, en marchant, crier des bottes à la Souwaroff mises par dessus un pantalon collant, avait sur son habit un spencer, mode aristocratique adoptée par les Clichiens, par la jeunesse dorée, et qui survivait aux Clichiens et à la jeunesse dorée. Dans ce temps-là, il y eut des modes qui durèrent plus longtemps que des partis, symptôme d'anarchie que 1830 nous a présenté déjà. Ce parfait muscadin paraissait âgé de trente ans. Ses manières sentaient la bonne compagnie, il portait des bijoux de prix. Le col de sa chemise venait à la hauteur de ses oreilles. Son air fat et presque impertinent accusait une sorte de supériorité cachée. Sa figure blafarde semblait ne pas avoir une goutte de sang, son nez camus et fin avait la tournure sardonique du nez d'une tête de mort, et ses yeux verts étaient impénétrables ; leur regard était aussi discret que devait l'être sa bouche mince et serrée. Le premier [= La Peyrade, homme de la Police de Fouché] semblait être un bon enfant comparé à ce jeune homme sec et maigre qui fouettait l'air avec un jonc dont la pomme d'or brillait au soleil. Le premier pouvait couper lui-même une tête, mais le second était capable d'entortiller, dans les filets de la calomnie et de l'intrigue, l'innocence, la beauté, la vertu, de les noyer ou de les empoisonner froidement. L'homme rubicond aurait consolé sa victime par des lazzis, l'autre n'aurait pas même souri. Le premier avait quarante-cinq ans, il devait aimer la bonne chère et les femmes. Ces sortes d'hommes ont tous des passions qui les rendent esclaves de leur métier. Mais le jeune homme était sans passions et sans vices. S'il était espion, il appartenait à la diplomatie, et travaillait pour l'art pur. Il concevait, l'autre exécutait ; il était l'idée, l'autre était la forme. ... [...]
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La forêt de Nodesme appartenait à un monastère dit de Notre-Dame. Ce monastère, pris, saccagé, démoli, disparut entièrement, moines et biens. La forêt, objet de convoitise, entra dans le domaine des comtes de Champagne, qui plus tard l'engagèrent et la laissèrent vendre. En six siècles, la nature couvrit les ruines avec son riche et puissant manteau vert, et les effaça si bien, que l'existence d'un des plus beaux couvents n'était plus indiquée que par une assez faible éminence, ombragée de beaux arbres, et cerclée par d'épais buissons impénétrables que, depuis 1794, Michu s'était plu à épaissir en plantant de l'acacia épineux dans des intervalles dénués d'arbustes. Une mare se trouvait au pied de cette éminence, et attestait une source perdue, qui sans doute avait jadis déterminé l'assiette du monastère. Le possesseur des titres de la forêt de Nodesme avait pu seul reconnaître l'étymologie de ce mot âgé de huit siècles, et découvrir qu'il y avait eu jadis un couvent au centre de la forêt. En entendant les premiers coups de tonnerre de la Révolution, le marquis de Simeuse, qu'une contestation avait obligé de recourir à ses titres, instruit de cette particularité par le hasard, se mit, dans une arrière-pensée assez facile à concevoir, à rechercher la place du monastère. Le garde, à qui la forêt était si connue, avait naturellement aidé son maître dans ce travail, et sa sagacité de forestier lui fit reconnaître la situation du monastère. En observant la direction des cinq principaux chemins de la forêt, dont plusieurs étaient effacés, il vit que tous aboutissaient au monticule et à la mare, où jadis on devait venir de Troyes, de la vallée d'Arcis, de celle de Cinq-Cygne, et de Bar-surAube. Le marquis voulut sonder le monticule, mais il ne pouvait prendre pour cette opération que des gens étrangers au pays.
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Le gentilhomme quoique simple et doux avait la foi monarchique et catholique, aucune considération ne l'eût fait changer de parti. Ce bonhomme se serait laissé arrêter, il n'eût pas tiré sur les municipaux, et serait allé tout doucettement à l'échafaud. Ses trois mille livres de rentes viagères, sa seule ressource, l'avaient empêché d'émigrer. Il obéissait donc au gouvernement de Fait, sans cesser d'aimer la famille royale et d'en souhaiter le rétablissement; mais il eût refusé de se compromettre en participant à une tentative en faveur des Bourbons. Il appartenait à cette portion de royalistes qui se sont éternellement souvenus d'avoir été battus et volés; qui, dès lors, sont restés muets, économes, rancuniers, sans énergie, mais incapables d'aucune abjuration, ni d'aucun sacrifice; tout prêts à saluer la royauté triomphante, amis de la religion et des prêtres, mais résolus à supporter toutes les avanies du malheur. Ce n'est plus alors avoir une opinion, mais de l'entêtement.

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- Nous! s'écrièrent les deux frères, écrire à Malin, à l'assassin de notre père et de notre mère, au spoliateur effronté de notre fortune!
- Tout cela est vrai; mais il est un des plus grands personnages de la cour impériale, et le roi de l'Aube.
- Lui qui a voté la mort de Louis XVI dans le cas où l'armée de Condé entrerait en France, sinon la réclusion perpétuelle, dit la comtesse de Cinq-Cygne.
- Lui qui peut-être a conseillé la mort du duc d'Enghien! s'écria Paul-Marie.
- Eh! mais, si vous voulez récapituler ses titres de noblesse, s'écria le marquis, lui qui a tiré Robespierre par le pan de sa redingote pour le faire tomber quand il a vu ceux qui se levaient pour le renverser les plus nombreux, lui qui aurait fait fusiller Bonaparte si le 18 Brumaire eût manqué, lui qui ramènerait les Bourbons si Napoléon chancelait, lui que le plus fort trouvera toujours à ses côtés pour lui donner l'épée ou le pistolet avec lequel on achève un adversaire qui inspire des craintes! Mais… raison de plus.
- Nous tombons bien bas, dit Laurence.

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Deux policiers, Corentin, le chef et son acolyte : « Les deux Parisiens qui traversèrent le rond-point offraient des figures qui, certes, eussent été typiques pour un peintre. L’un, celui qui paraissait être le subalterne, avait des bottes à revers, tombant un peu bas, qui laissaient voir de mièvres mollets et des bas de soie chinés d’une propreté douteuse. La culotte, en drap côtelé couleur abricot et à boutons de métal, était peu trop large ; le corps s’y trouvait à l’aise, et les plis usés indiquaient par leur disposition un homme de cabinet. Le gilet de piqué, surchargé de broderies saillantes, ouvert, boutonné par un seul bouton sur le haut du ventre, donnait à ce personnage un air d’autant plus débraillé que ses cheveux noirs, frisés en tire-bouchons, lui cachaient le front et descendaient le long des joues (…).Sa figure bourgeonnée, son gros nez long couleur de brique, ses pommettes animées, sa bouche démeublée, mais menaçante et gourmande, ses oreilles ornées de grosses boucles en or, son front bas, tous ces détails qui semblent grotesques étaient rendus terribles par deux petits yeux placés et percés comme ceux des cochons et d’une implacable avidité, d’une cruauté goguenarde et quasi joyeuse(...).
L’autre « paraissait âgé de trente ans. Ses manières sentaient la bonne compagnie, il portait des bijoux de prix. Le col de sa chemise venait à la hauteur de ses oreilles. Son air fat et presque impertinent accusait une sorte de supériorité cachée. Sa figure blafarde semblait ne pas avoir une goutte de sang, son nez camus et fin avait la tournure sardonique du nez d’une tête de mort, et ses yeux étaient impénétrables ; leur regard était aussi discret que devait l’être sa bouche mince et serrée. Le premier semblait être un bon enfant comparé à ce jeune homme sec et maigre qui fouettait l’air avec un jonc dont la pomme d’or brillait au soleil. Le premier pouvait couper lui-même une tête, mais le second était capable d’entortiller, dans les filets de la calomnie et de l’intrigue, l’innocence, la vertu, de les noyer, ou de les empoisonner froidement ».
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Balzac, colosse des lettres, buvait café sur café, travaillait des journées entières et dormait trop peu. Il finit par s'épuiser de tant d'énergie dépensée et meurt en 1850, à seulement 51 ans.
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