Les corbeaux

Derrière son apparente simplicité et son petit format (80 pages), ce texte est un vrai chef-d'oeuvre. On y retrouve le style typique de Herman Bang, fait de phrases courtes, souvent ellipsées, et une action qui avance sans tambour ni trompette, par petites touches. Les personnages se révèlent à leur insu dans chacune de leurs phrases. Herman Bang, dont l'homosexualité s'accordait mal avec le puritanisme de la bourgeoisie danoise du XIXè siècle, fut un homme profondément malheureux ; ce petit texte est l'occasion de se moquer de cette bourgeoisie fin de siècle. La vieille demoiselle Sejer, issue de la bonne bourgeoisie d'affaire, réunit sa famille à l'occasion d'un diner. Et toute la scène (le terme n'est pas anodin, tant on pense à une pièce de théâtre) va jouer sur un double registre. D'un côté, les mots gentils mais hypocrites, et de l'autre les tractations secrètes menées pour tenter de sauver l'héritage, car certains redoutent que Mlle Sejer dilapide sa fortune. C'est féroce, drôle (notamment les sous-entendus sexuels, à moins que ce ne soit moi qui sur-interprète le texte) mais aussi affligeant. Avec une narration à peine construite et des dialogues qui semblent anodins, Herman Bang révèle toute la puissance de sa prose, souvent qualifiée d'impressionniste.