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Critique de JIEMDE


JIEMDE
11 septembre 2022
À la frontière de la vérité.

Fife se meurt. Célèbre cinéaste documentaire américain exilé au Canada depuis de nombreuses années, l'issue de sa maladie ne fait aucun doute. Dans son fauteuil et sa dépendance, il a conservé toute sa tête à défaut de son corps, tout son fichu caractère et toute sa mémoire.

« Son corps est un champ de bataille, comme si son foie était en guerre contre ses reins et que les deux étaient mortellement blessés. » Fife se meurt, alors Fife va se confier, une dernière fois, mais pas n'importe comment : devant une caméra et en présence de sa femme Emma, les deux seules présences qui lui importent car avec elles, on ne triche pas.

« Sans la caméra qui l'observe, sans le micro qui l'écoute, sans l'obscurité qui l'entoure, il mentirait à Emma, il mentirait à tout le monde. »

Mais là où l'équipe de tournage qu'il a jadis formé à ses techniques l'attend sur les détails croustillants ou énigmatiques de sa vie – sa découverte d'essais chimiques secrets de l'armée US au Canada ou les coulisses des concerts et de la vie de Joan Baez - Fife biaise, esquive et contourne l'obstacle.

Il va ainsi raconter son histoire, ces petits instants décisifs qui furent autant de tournants de sa vie d'avant, celle de sa jeunesse avec Amy, sa première femme et leur fille Heidi ; puis celle en Virginie avec sa femme Alicia et leur fils Cornel, et cet avenir qui lui était promis à la tête de l'empire de la belle-famille.

Pourtant, rien ne s'est passé comme cela et au printemps 1968, Fife a définitivement fui et passé la frontière, comme tous ces jeunes américains fuyant la conscription pour le Vietnam. Mais était-ce pour les mêmes raisons ? Pourquoi un tel abandon et renoncement ? Et les choses se sont-elles réellement passées ainsi ?

Dans Oh Canada, Russell Banks - traduit par Pierre Furlan - raconte une vie, c'est-à-dire ce qu'il en reste quand elle touche à sa fin : pas de chronologie, pas de temps forts, pas de révélations. Juste des fulgurances, des points de bascule, des moments de repentirs trop lourds pour être emportés de l'autre côté de l'ultime frontière. En espérant être compris, à défaut d'être pardonné.

« Les hommes ont tellement plus de pouvoir dans le monde qu'on se dit qu'ils pourraient au moins essayer d'être honnêtes (…) La douleur et ses souvenirs (…) sont les seuls éléments qui lui restent pour prouver qu'il n'est pas mort (…) Mais ses souvenirs ne peuvent pas exister s'ils ne sont pas entendus. »

Pour une première lecture de Banks, j'ai été totalement séduit par le style, puissant, sec et souvent porté par la colère qui exulte de Fife. Il me faut avouer que mon esprit cartésien a souvent eu du mal avec une histoire qui flirte sans cesse avec la réalité, le vrai et le faux, la défaillance des souvenirs, les arrangements avec la mémoire… Avant d'intégrer, après ma lecture et mes échanges avec @moonpalaace – avec qui je faisais lecture commune - que c'était évidemment toute la force du livre, à qui on pardonne aussi quelques répétitions.

En nous plongeant dans le clair-obscur de la vérité, Banks raconte les travers d'une vie, les faiblesses de l'homme et la force de l'amour. Et c'est beau…

« Malgré un passé où il a refusé d'aimer et où il n'était pas digne d'être aimé, il a l'intention de partir en étant celui qui aime et qu'on aime. Sans secrets. Sans mensonges. Ce n'est pas de l'héroïsme. C'est simplement la fin d'une vie sans lâcheté. »
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