Les étagères se prolongeaient vers l'arrière, créant un labyrinthe de panneaux et d'alcôves tapissés d'ouvrages protéiformes, du livre illustré au manuscrit ancien, du volume au codex, de l'in-duodecimo au double-éléphant-folio, enfin, sur le côté, des escaliers en colimaçon menaient aux rayonnages supérieurs qui perdaient le regard du spectateur dans la foule des dos de cuir.
Il était une fois un conte né des profondeurs caverneuses de l’humanité. Engendré d’un mythe dévoyé à la force du songe.
Il était une fois un conte obscurci, englouti par un océan de ténèbres, qui gisait tout au fond du foyer des histoires, étouffé en secret sous le gris de la cendre. Silencieux dans le noir plein de froid. Depuis le brouillard insaisissable de la nuit, voguant dans la brume, à travers le labyrinthe du Temps, une formule enchantée, plus légère qu’un flocon de poussière, se frayait pourtant un chemin jusqu’à l’oreille des dormeurs. Son murmure dansait dans les courants d’air. Sa voix bruissait dans le vent. Elle se mêlait aux frissoulis des feuillages blêmes et aux pépiements des oiseaux accrochés à la tristesse du ciel. Elle portait avec elle sa magie ancestrale : le pouvoir d’invoquer celui qu’on avait abandonné. Le murmure glissait à tous les souffles son incantation répétée, inlassablement. Ça faisait :
Il était une fois…
Il était une fois…
Il était une fois…
Extrait du prologue
Une protestation s'échappait de ses tripes, elle réfutait tout ce que cet homme était, elle refusait en bloc ce qu'il voulait faire accroire, avec sa voix de séducteur, avec sa voix de pervers meurtrier, avec sa voix sage de mari, celui que son père lui avait assigné et qu'elle s'était même résignée à accepter.
Il était une fois une clef qui avait le pouvoir de révéler l’indicible.
Il était une fois un conte né des profondeurs caverneuses de l’humanité. Engendré d’un mythe dévoyé à la force du songe.
Le jour s'était levé, pâle comme la grippe. Il se traînait comme s'il avait voulu rester couché. Le vaste ciel, malade d'ennui, s'apprêtait à effilocher des nuages épars jusqu'au soir.
Dans la bibliothèque, notre jeune reine oubliait peu à peu la détresse qui s'était logée dans son cœur.
Eugénie n'arrivait pas à faire la révérence que son patriarche attendait. Son corps refusait de se plier.
Il était une fois des princesses mortes, des reines dechues qui, sans tête, hurlaient leur peine du fin fond de leurs cercueils de verre, de pierre ou de diamants. [...] Des êtres vivants de chair et de sang changés en cadavres inertes de tas d'os et de regrets éternels.