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Critique de Cigale17


La narratrice de Une façon d'aimer plonge dans ses souvenirs d'enfance à partir d'une photo de sa tante Madeleine, la soeur aînée de sa mère. La photo représente Madeleine, jeune, en Afrique, où elle a suivi Guy, son mari, muté là-bas : « Douala, allée des Cocotiers, 1958 ». Elle sert de prétexte à la reconstitution d'un univers disparu, épisodiquement celui de la vie à Nantes, dans cette famille où, après la mort du père, il ne reste que des femmes, mais surtout, elle sert de déclencheur à la reconstitution d'un monde que la narratrice ne connaît pas du tout, cette Afrique du temps de la colonisation, je devrais dire de la fin de la colonisation. La narratrice s'appuiera sur les souvenirs de sa mère, Olivia, de sa grand-mère, Régine, et de sa cousine, Sophie, la fille de Madeleine, pour rebâtir une histoire dont elle ne sait pas grand-chose. Sa grand-mère lui a confié que Madeleine avait bien failli faire une bêtise, là-bas, aux colonies…
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Je n'avais encore rien lu de Dominique Barbéris, et je sors enchantée de ce roman délicat et sensible. Dès la brève première partie, sorte de mise en situation, les réflexions sur le travail de la mémoire, sa fragilité, sur la rémanence et l'interprétation des souvenirs, occupent une place importante, comme d'ailleurs les remarques sur les livres, les écrivains, le cinéma et la culture en général. La deuxième partie nous propose de suivre Madeleine, jeune fille puis jeune femme, la rencontre avec Guy, les fiançailles, le mariage et le départ à Douala. L'autrice excelle à rendre l'ambiance de l'époque, la vie en province, le milieu social. Elle restitue avec précision le climat de l'époque, les non-dits, les tabous, la sorte de pudeur d'alors qui finissait par brimer les relations affectives. La troisième partie se déroule à Douala, au Cameroun, à la toute fin des années 50. La vie s'est ralentie, presque arrêtée : on attend l'inévitable indépendance et on cultive quelques craintes, mais le microcosme de la société constituée par les colons garde ses habitudes. Les soirées à la Délégation réunissent tout ce qui compte à Douala. Madeleine y rencontrera Yves Prigent, un séducteur impénitent, attiré par cette jeune femme timide qui ressemble à Michèle Morgan. J'ai beaucoup apprécié la finesse avec laquelle Dominique Barbéris évoque la perception de l'Afrique par les nouveaux arrivants : la chaleur, les insectes, l'omniprésence des lézards, le bruit assourdissant des oiseaux au crépuscule. Ce sentiment de décalage social qu'éprouve Madeleine s'illustre avec cruauté dans la réprobation pas toujours muette de Charlie, le boy de la maison, qui ne se prive pas de la comparer aux autres « Madames » qu'il a servies. La jeune femme timide, provinciale et d'un « petit milieu » n'en sort pas gagnante. Vous l'avez deviné, je ne vous révèlerai pas si Madeleine a ou non fait cette bêtise dont parlait la grand-mère. Vous devrez lire ce roman pour le savoir. Une certaine mélancolie en ressort, forcément plus encore si on a connu cette époque, les chansons alors à la mode, les relations parents-enfants à mille lieues de celles d'aujourd'hui, le poids du regard des autres, le silence sur les sentiments, les phrases leitmotivs de la grand-mère… Je me suis plongée avec délices dans ce roman subtil et délicat.

[Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de Elle 2024]
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