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Critique de Moro


Pour moi ce livre est un véritable coup de coeur : je l'ai dévoré à une vitesse folle (et pourtant je suis une vraie limace pour lire des essais !) tant il m'a passionné ! Son postulat est (hélas) assez simple : analyser le sexisme et ses conséquences, dans le milieu du sport (français et international), un milieu qui se voudrait exemplaire de par les valeurs qu'il véhicule mais se révèle être le miroir grossissant du sexiste incrusté dans notre société. L'autrice va à la fois mêler analyses sociologiques et historiques et s'appuyer sur sa propre expérience de première présidente d'un club de sports collectifs masculin qu'elle consignait dans un carnet. Ces témoignages sont par ailleurs particulièrement glaçants et révélateurs ; cela va de l'ignorer superbement (ou la prendre pour « la femme du président ») à miner des actes sexuels face à elle en toute quiétude ( !). Se permettrait-on la même chose avec un homme ? La réponse paraît évidente.
Cet essai commence par un sujet peu abordé, comme le dit l'autrice elle-même, à savoir les conséquences de ce sexisme chez les sportives : sentiment imposture, dévalorisation, violence physique et mentale (injonction du milieu, souffrir pour aller au bout de soi). Elle insiste également sur la dimension particulièrement violente de ce milieu, car quand on y réfléchit, dans quel autre milieu au monde se permet-on de hurler sur ses subordonnés, de les insulter pour les « motiver » avec des « sors-toi les doigts du c** » et autres joyeusetés ? Cette violence s'incruste dans l'éducation des garçons tant le sport a toujours été un moyen d'affirmer sa virilité (pensons à Billy Elliott) ; ne pas aimer le sport, c'est être une « tapette ».
Ensuite l'autrice s'interroge sur le « sexe » des sports, et il est assez juste de constater qu'on préciser toujours qu'une équipe est féminine mais jamais masculine (comme si cela coulait de source). Elle demande à juste titre s'il existe une musique féminine, une littérature féminine, une science féminine ? Comme si notre sexe marquait chacune de nos activités d'un sceau particulier. Elle réalise à ce moment un historique très intéressant du sport au féminin (en comparaison du masculin) et force est de constater que des pionnières ont tout fait pour se battre pour leur passion, pour s'affirmer dans cette chasse-gardée masculine. J'ai énormément apprécié cet historique (certes bref, mais ce n'était pas le sujet du livre) sur les femmes et le sport, et j'ai appris avec énormément de surprise que les femmes avaient organisé leurs propres jeux olympiques durant quelques décennies.
L'autrice enchaîne ensuite sur la situation « difficile » des femmes sportives, prise au piège des injonctions de la société à les conserver « féminines » pour éviter tout « soupçon » de lesbianisme (non mais parfois on se demande dans quelle société on vit) et d'envie d'affirmation de soi, de ses propres goûts vestimentaires… Elle les enjoint de développer une « conscience de genre », par égard des autres femmes, mais le féminisme est le mot qui fâche et effraie, et peu de sportives s'emparent consciemment de ces problématiques. La féminité est un argument marketing la plupart du temps, au détriment de la performance (affiche avec des talons, décolleté, mise en valeur des attributs féminins) : attirer un nouveau public, mais on se demande lequel… L'autrice développe également la problématique des habits des sportives ; éternel moyen de contrôler le corps féminin, trop ou pas assez couvert… Encore une fois le corps féminin (sublimé par des jupettes et autres vêtements peu pratiques de la bouche même des sportives) sert à attirer le public, sans vraiment que des enquêtes le confirment. J'ai particulièrement apprécié la réflexion sur la « désexualisation des individus » (le cauchemar de certains, vous en conviendrez). le sport permettrait de faire définitivement flancher les stéréotypes et chacun pourrait se revendiquer tel qu'il souhaite être ; délier « impératifs biologiques et normes sociales ».
La prochaine partie se consacre au point guère plus reluisant du management du sport, qui est frappé de plein fouet par le bien connu « plafond de verre » ; les femmes doivent fournir plus d'efforts, être dans le soupçon perpétuel de l'incompétence, la dévalorisation, le manque de soutien et de considération… Un vrai panier de crabes où pourtant des femmes s'affirment, souvent avec beaucoup de succès (elles sont souvent très compétentes, puisqu'elles se dévalorisent, et doivent travailler plus dur pour y arriver). L'autrice dénonce les « impensés » de ce milieu, ces réalités inenvisageables : comment de fois l'a-t-on prise pour une secrétaire, ou la femme du président…
Enfin, malgré tout, elle conclut avec un tableau plus optimisme en soulignant les efforts des dernières années, les avancées, petit à petit, chaque édition des jeux olympiques accueillant de plus en plus de catégories féminines par exemple, même s'il reste évident que la question de l'égalité dans le sport doit être un effort collectif (et surtout que les hommes s'enlèvent leurs oeillères).
Bref, un livre indispensable, enrichissant, passionnant sur le sujet (avec une bibliographie très documentée) !
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