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Critique de Nastasia-B


J'ai débuté la lecture de ce roman directement après avoir refermé À l'ouest rien de nouveau qui m'avait littéralement époustouflée. Je m'attendais à revivre quelque peu ce qu'Erich Maria Remarque avait fait naître, mais du côté français, cette fois.

J'ai été à la fois comblée et déçue. Comblée car oui, Henri Barbusse fut un témoin lucide de la Grande Guerre : pas qu'un témoin, mieux qu'un témoin, un acteur. Il sait parfaitement ce qu'est le front, l'arrière, tout. Il sait tout ça et il veut en témoigner. Entendons-nous bien, l'opinion que je vais émettre ne concerne absolument pas la valeur ou l'utilité du témoignage, qui tous deux, selon moi, sont indiscutables et indispensables.

Ce que je questionne, c'est la pertinence du format choisi. En effet, il n'est jamais très clair dans le Feu si l'on a affaire à un roman ou à un reportage journalistique ; on navigue constamment dans ce no-man's land inconfortable et pas trop bien maîtrisé d'après moi.

Il y a un côté Zola chez Barbusse, un côté exhaustif, un côté « je vais tout vous montrer et vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas. » En 1916, en plein conflit, ça se comprend, c'est défendable et même plus que souhaitable, mais c'est du ressort du journaliste, pas du romancier.

Ce qu'il nous explique très bien, c'est qu'à l'époque des faits, les journalistes étaient largement investis dans une mission de propagande et donc, seul le roman pouvait avoir les coudées franches pour accomplir le véritable travail d'information du public.

Soit. Je suis pleinement consciente des contraintes qui pesaient sur le romancier. Ajoutons-y la contrainte ô combien lourde et pressante du temps, l'impératif du témoignage RAPIDE. Je sais tout ça, le comprends et l'excuse amplement.

Toutefois, pour les lecteurs du XXIème siècle et de tous les siècles à venir, seul demeure le roman car le contexte et son urgence ont disparu. Et là, je ne puis m'empêcher de tiquer sur des problèmes inhérents à la construction romanesque et qui amoindrissent et la satisfaction du lecteur, et le pouvoir de conviction de l'oeuvre.

C'est l'écueil dans lequel ne tombe pas Erich Maria Remarque : il a bâti un vrai roman, avec tous les codes et les impératifs propres au roman, d'où son incroyable pouvoir de conviction. Henri Barbusse, lui, dit tout, absolument tout, si bien qu'il dilue son histoire.

Remarque se focalise sur un nombre volontairement limité de personnages, qui tous quittent la scène les uns après les autres pour cause de décès ou de blessure affligeante ; toujours dans un but romanesque précis qui fait mouche à chaque fois. En gros, Remarque a opéré un tri, fait une synthèse de son expérience du conflit là où Barbusse nous fait un reportage à chaud, sans trop avoir hiérarchisé ses informations.

Autre différence notable, Remarque utilise un narrateur qui a une identité, qui parle avec des mots simples de soldat, qui souffre et qui ressent la guerre. Barbusse, lui, se cache derrière une espèce d'ectoplasme qui est lui sans jamais être clairement assumé comme étant bien lui, qui porte un regard distancié sur ce qu'il vit et qui, du coup, nous distancie également. Si bien que j'ai ressenti, moi lectrice du XXIème s., beaucoup moins d'intensité chez Barbusse que chez Remarque, alors même que la violence et l'horreur décrites sont rigoureusement les mêmes.

Quand Remarque fait mourir un soldat, il a pris le soin au préalable de nous le faire connaître, de nous y attacher, de nous faire compatir à l'atrocité quotidienne qu'il subit. Barbusse, lui, nous décrit vraiment beaucoup de personnages, souvent à peine esquissés, une bande de rouspéteurs pour lesquels on ne ressent pas forcément grand-chose, en tout cas, vis-à-vis desquels on n'est pas très attaché.

Étonnamment, le seul moment où Barbusse parvient à nous prendre aux tripes, à nous faire crever de chagrin, c'est lorsqu'il aborde le cas de la jeune femme, Eudoxie, pour laquelle Lamuse en pince, et que ce même Lamuse découvre quelques semaines plus tard, à moitié décomposée en creusant une tranchée. Ici, Barbusse obéit aux codes romanesques et c'est exceptionnellement bon, puissant comme jamais. La scène du soldat noyé parce qu'il n'arrive pas à sortir d'un trou d'obus à cause de la boue, vers la fin du roman est presque aussi intense et pour les mêmes raisons : on a eu le temps de s'attacher au personnage.

En revanche, quand il fait son Zola bas de gamme, à décrire avec un souci du terme poétique les bombardements, les bourbiers, les blessures, je trouve que le décalage entre l'horreur vécue et les termes pour l'exprimer est préjudiciable.

Le décalage, encore lui, est si grand entre ce pseudo lyrisme et l'authenticité des dialogues de poilus qui eux sentent le vécu à plein nez et qui jouent justes quasiment tout le temps est, d'après moi, mal senti. J'écris que les dialogues jouent juste quasiment tout le temps car il est manifeste que dans le dernier chapitre, intitulé L'Aube, les dialogues ne masquent que très grossièrement et très imparfaitement l'expression des convictions de l'auteur et cela sonne faux, malheureusement.

Balzac reprochait exactement cela à Hugo (à propos de ces dialogues) dans sa critique restée fameuse sur la Chartreuse de Parme de Stendhal (oui, je sais, c'est un peu compliqué, la critique concernait Stendhal mais il parle aussi un peu de Hugo et de quelques autres) ; le fait de mettre les paroles de l'auteur dans la bouche des personnages au lieu de s'oublier et de se mettre lui, l'auteur, dans la peau du personnage. (Hugo en tiendra d'ailleurs compte bien des années plus tard en écrivant Les Misérables et son fameux passage sur Waterloo.)

Au-delà de ces problèmes de construction romanesque, l'auteur décrit admirablement l'enfer de cette guerre, et de toutes les guerres en général. Il montre, selon moi de façon assez convaincante, que l'ennemi est au moins autant si ce n'est plus le gouvernement qui envoie ses enfants se faire tuer que les pauvres bougres d'en face qui font le même sale boulot en sens inverse. Tout cela, évidemment, pour des intérêts qui dépassent largement les infortunés soldats commis d'office.

Bref, souvenons-nous de cette leçon d'atrocité que nous évoque courageusement Henri Barbusse et demandons-nous qui est le véritable ennemi : l'État qui vous dit « Allez vous battre et fermez vos gueules ! » ou les pauvres types d'en face auxquels leur propre État a intimé le même ordre ? En outre, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, vraiment pas grand-chose à mettre sur le feu.

P. S. : Je suis allée récemment tâcher de retrouver la tombe de mon arrière-grand-père, tombé le 12 février 1915 à Souain-Perthes-lès-Hurlus lors de la fameuse et ô combien meurtrière première bataille de la Marne. Le cimetière y est parfaitement tondu et une adorable mousse recouvre le sol à beaucoup d'endroits. Pourtant, l'autre jour, rien qu'avec les fortes pluies et les rejets de terre sous forme de tortillons imputables aux vers de terre, j'avais les chaussures entièrement pleines de boues en moins de cinq minutes.

Donc, oui, j'imagine très bien la boue et le bourbier que cela pouvait être à l'époque quand rien qu'à marcher sur une pelouse bien entretenue on en a déjà plein ses bas de pantalon ! Je n'ai d'ailleurs pas réussi à retrouver la tombe de mon aïeul car les tombes sont disposées au hasard ou à peu près et j'avais l'impression de rejouer la scène du truand, à la fin du Bon, la Brute et le Truand quand il cherche une tombe précise dans un cimetière immense.

Mais j'ai été moins courageuse que lui, j'ai abandonné quand j'ai eu deux kilos de terre à chaque pied et que mon manteau a été entièrement transpercé par la fine pluie qui tombait alors sans discontinuer… On n'a pas tous la fibre héroïque, pardon, très cher aïeul (je reviendrai par temps sec).
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