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Critique de Renatan


« Comme son amour fut immense, immense fut sa souffrance »

Elle s'appelle Andre et incarne la luxure. Elle a 18 ans. Elle est belle, riche, fascinante. Elle est désirable, désinvolte, insaisissable… D'aucuns diront qu'elle est pute, elle « s'offre », simplement, sans pudeur et sans limites. Elle vient d'un autre monde, d'une autre « normalité », là où les barrières du désir ne confrontent aucun obstacle. Elle est libre et son univers est vaste. Elle n'appartient à personne et pourtant un peu à tout le monde. Elle couche un jour avec les pères, le lendemain avec leurs fils. Où est le mal quand on répand autant de bien-être? Doit-elle se dire… Son âme n'est pas moins pure, elle est juste un peu plus fragile, immature, blessée. Et son corps est une danse sensuelle qui envoûte le regard des hommes…

« Toute sa splendeur réside dans son visage – la couleur de ses yeux, l'angle saillant de ses pommettes, sa bouche. Il ne semble pas nécessaire de regarder autre chose – son corps est simplement une façon d'être, de prendre appui, de s'en aller – c'est une conséquence »

Eux, ce sont Bobby, Luca, le Saint et le narrateur. Ils incarnent le catholique intégriste de l'Italie des années 70. On leur a appris que la beauté est une vertu morale qui n'a rien à voir avec le corps ou le galbe d'un sein. le corps d'une femme est un objet de refoulement. Ils ont appris qu'on fait l'amour pour communiquer et partager une joie, non pas pour le plaisir, encore moins pour l'épanouissement des sens. Musiciens, ils animent les services à l'église et assistent les personnes âgées de l'hospice. Ce sont les meilleurs amis du monde. Ils savent qui est Andre. D'ailleurs, tout le monde sait qui elle est. Et comme le désir est plus fort que la morale, ils finiront par tomber amoureux. Non pas d'un amour qui a « connu », mais d'un amour qui a envie de connaître, de toucher, de sentir, de ressentir. Ils se laisseront dériver doucement vers la liberté. Elle leur apprendra l'amour et le plaisir. Jusqu'au jour où elle viendra se glisser entre eux, dans le lit. Et qu'elle s'offrira tel un don inattendu…

« Andre était étendue au sol, sur le dos, et quand elle se releva, elle le fit en laissant tomber la tunique blanche qu'elle portait, la mue d'un serpent, et apparut sous nos yeux, nue. Ainsi nous était donné, sans qu'on nous demande rien en échange, ce que nous avions toujours cru hors de portée… Je continuai à l'embrasser, cherchant sa bouche. On aurait dit un jeu, elle se pencha sur moi, prit mon sexe entre ses lèvres, sa bouche loin de la mienne, selon son désir. Je mis une main dans ses cheveux et resserrai mes doigts, pliant le bras et tirant sa tête vers moi ».

Cet Emmaüs de Baricco est divinement sensuel. Mais surtout, il nous ébranle. Il est le portrait d'une génération confrontée au choc de ses valeurs. L'auteur nous démontre que lorsqu'on dérive du modèle qui constitue non seulement celui d'une époque mais aussi, plus intimement, celui de notre cadre familial, nous devenons fragiles, certains plus que d'autres. le choc peut être suffisant à nous pousser au désespoir. Et du désespoir au suicide. En ce sens, Baricco nous amène à nous interroger sur ce qui est normal ou non. Ce qui l'est est sans doute un peu du monde dans lequel chacun de nous a évolué. Qu'on le veuille ou non, nous sommes en quelque sorte un fragment de la vie de nos parents. Et quand les gens autour de nous dévient de ce moule, nous pensons qu'ils sont anormaux. Ils sont jugés sur les apparences bien plus que sur les actes. Andre n'aura eu que le courage d'affronter le monde tel qu'il est, avec son regard sur la vie. Ce roman d'apprentissage est marqué par le passage de l'adolescence à la vie adulte. Et la détresse qu'il suscite chez beaucoup de jeunes est troublant.

Comme les disciples d'Emmaüs, nous vivons dans l'ignorance, aveuglés par certaines évidences que nous refusons de voir. Ainsi le monde nous échappe, nous regardons à la surface des choses, nous effleurons l'essence même de la vie…

Lien : http://www.lamarreedesmots.c..
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