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Critique de Moovanse



«On posa sur ces yeux un linge mouillé ….
Hervé Joncour sentit l'eau couler sur son corps … de l'eau comme de l'huile. Et un étrange silence, tout autour. Il sentit la légèreté d'un voile de soie venir se poser sur lui. Et les mains d'une femme – d'une femme – qui l'essuyaient en caressant sa peau, partout ces mains, et cette étoffe tissée de rien. Pas un instant il ne bougea, pas même quand il sentit les mains remonter de ses épaules à son cou, et les doigts – la soie, les doigts – monter jusqu'à ses lèvres, les effleurer, une fois, lentement, puis disparaître. »

Délicieux, silencieux, enveloppant, raffiné, et d'une extrême lenteur : voici donc toute l'atmosphère de « Soie » ainsi résumée.
Il suffit juste de fermer les yeux et de s'abandonner …
Il suffit … juste,
Sinon le charme n'opère pas.

Roman ? Nouvelle ? Ou même poème ? Ce tout petit livre est inclassable avec son « Rien » d'histoire et son « Tout » suggéré.
Moi je le vois comme une estampe, une estampe environnée de brumes : fascinante, il faudra la regarder longuement, s'imprégner de la grâce des traits, de la finesse des contours, de la délicatesse des couleurs, pour que derrière le voile surgisse la limpidité d'un petit moment d'éternité.

Parce qu'avec « Soie » on ne s'attache pas à l'histoire, celle d'Hervé Joncour, négociant ardéchois sériculteur qui, pour les besoins de son métier et de son village, est amené à faire plusieurs voyages à cet autre bout de la Terre qu'est à l'époque le Japon : elle est minimaliste et n'a au fond, pas beaucoup d'importance puisque l'auteur ne nous donne guère de détails sur le pourtant long périple de ces voyages, pas plus qu'il nous renseigne sur les moeurs, les coutumes ou même les paysages de ce Japon fermé du 19 éme siècle.
Ce n'est donc pas le voyage qui importe, ni les pays qu'il relie, c'est une fulgurance, un croisement de regards, l'opium d'une troublante rencontre à l'autre bout du monde, l'éblouissement d'une vie tranquille « déroutée » par la puissance de deux prunelles, l'infidélité virtuelle enveloppée dans un voile de silence, la souffrance « muette » d'une épouse, l'inexplicable attraction de l'impossible.

Alessandro Baricco a-t-il voulu soulever le fragment de rêve qui existe en chacun de nous : Rompre avec l'attendu, se défaire du réel, connaître la vibration sublime d'un Amour qui peut se passer de mots, toucher un essentiel, s'atteindre enfin ?

La part belle est faite au mystère, à un charnel tout en pudeur, aux blancs qui suggèrent, à une narration volontairement répétitive, à une lenteur « orientale » parfois exaspérante mais nécessaire.
Baricco et sa petite musique lancinante, nous laisse finalement libres de notre imaginaire et de notre sensualité. L'éblouissement est là !

Une envoutante lecture,
Simple, épurée, tout en retenue,
Un fil tenu, imperceptible… fil de Soi.
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