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Critique de SeriallectriceSV


Un grand texte littéraire, admirablement écrit, et d'une fluidité remarquable.

Julian Barnes retranscrit, sans jugement aucun, un destin, celui de Dmitri Chostakovitch, compositeur russe, qui alors qu'il est âgé d'une trentaine d'années se retrouve confronté à la bêtise humaine, et doit faire face au régime totalitaire stalinien, celui-là même qui façonnait les âmes humaines. Il assiste, en 1936, impuissant à la censure de son oeuvre, alors qu'elle était jusque là saluée notamment à l'étranger et qu'il flirtait avec le succès. Il échappe par chance à la mort, son bourreau ayant été fusillé entre temps. Il vivra alors comme temps d'autres, terrorisé, dans la peur de se voir arrêté et fusillé.

«Parce que, si la tyrannie peut être paranoïde, elle n'est pas forcément stupide. Si elle était stupide, elle ne survivrait pas ; de même que, si elle avait des principes, elle ne survivrait pas. La tyrannie comprenait comment certaines parties – les parties faibles – de la plupart des gens fonctionnaient.»

Et à ce moment là, que faire ? Collaborer et sauver sa peau et celle de sa famille ? Ou risquer la fonctionnelle balle dans la nuque ? Dmitri Chostakovitch collaborera, dénoncera, se pliera à la norme stalinienne...et vivra, mais à quel prix. La culpabilité, la honte le rongeront toute sa vie, une vie de lâche, dit-il lui-même, condamné à se débattre dans le chaos de son époque.

«Mais il n'était pas facile d'être un lâche. Etre un héros était bien plus facile qu'être un lâche. Pour être un héros, il suffisait d'être courageux un instant – quand vous dégainiez, lanciez la bombe, actionniez le détonateur, mettiez fin aux jours du tyran, et aux vôtres aussi. Mais être un lâche, c'était s'embarquer dans une carrière qui durait toute une vie. Vous ne pouviez jamais vous détendre. Vous deviez anticiper la prochaine fois qu'il vous faudrait vous trouver des excuses, tergiverser, courber l'échine, vous refamiliariser avec le goût des bottes et l'état de votre propre âme déchue et abjecte. Etre un lâche demandait de l'obstination, de la persistance, un refus de changer – qui en faisaient, dans un sens, une sorte de courage. Il sourit intérieurement et alluma une autre cigarette. Les plaisirs de l'ironie ne l'avaient pas encore abandonné.»

Un sujet sensible, évoqué avec humour et élégance qui élèvent indéniablement cette bouleversante et tragique histoire au rang de mémorable. L'auteur nous pousse à la réflexion. Qu'aurais-je fait à sa place ? Qu'auriez-vous fait ? En reposant "L'Art de perdre" d'Alice Zeniter ou encore "La fête au bouc" de Mario Vargas Llosa, cette même question me taraudait. Avaient-ils vraiment le choix ? Avaient-ils les armes, les outils [dont nous bénéficions aujourd'hui] pour lutter ?

Une biographie passionnante, une ode à la musique, un livre poignant, important.

«C'était l'ultime et incontestable ironie de sa vie : qu'en le laissant vivre, ils l'avaient tué.»
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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