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Un livre où l'humiliation d'un génie musicale par un système totalitaire qui règle tout par la terreur, est portée à l'extrême. de quoi vous sentir humilié, frustré et impuissant en tant que lectrice ou lecteur.

Dmitri Chostakovitch, un des plus grands compositeurs russes du XX éme siècle, avec son opéra "Lady Machbeth de Mtsensk" aux succès retentissants de NewYork à Cleveland, de Suède à l'Argentine, de Moscou à Leningrad, se voit tomber en disgrâce suite à une représentation à Moscou auquel assiste Staline. " le petit père des peuples " et ses fayots du Politburo quittent la salle avant la fin du spectacle, et un article dans la Pravda, quelque jours plus tard porte le coup de grâce au jeune Chostakovitch.... Voici le prélude à une vie apolitique, où l'intimidation a débuté bien avant.
Marié, père d'une petite fille,afin d'épargner à sa famille la vue d'une arrestation, pendant une dizaine de jours, il attend chaque nuit, dans la cage d'escalier, sa valise prête, qu'on vient le chercher et l'arrêter.......et dans son esprit agité, qui lutte contre ses démons, il voit défiler sa vie .

Il sera épargné......par chance ? On n'en sait rien, car même les lèches bottes comme le poète Boris Kornilov, furent arrêtés et fusillés. En tout cas il se pliera à "leurs" exigences, se laissera dicter "le bon chemin" en composant des musiques de film selon leurs directives pour être le "Chostakovitch optimiste" de leur désir.
A-t-il était un lâche ? Et la question plus difficile, qu'aurait-on fait à sa place ?
Dans un système totalitaire le rôle de l'artiste, de l'écrivain est l'un des plus difficiles.
Cet homme qui vénérait Stravinski en temps que compositeur, le même Stravinski qu'il attaqua malgré lui à sa plus grande honte, en lisant un texte de propagande à NewYork imposé par le parti, n'a pas été, à vrai dire, des plus courageux. Mais je ne suis pas d'avis qu'il peut être considéré comme un lâche, et Julian Barnes en est du même. D'ailleurs l'écrivain s'acharne sur le propos jusqu'à la fin .
Facile de juger quand on se trouve pas soi-même dans un pareille pétrin absurde et révoltant. Lutter dans son cas n'aurait amené pas plus que sa mort et la misère de sa famille, et nous aurait privé du reste de son oeuvre. Il était plus indispensable à la musique classique vivant que mort. le reste concerne son éthique personnelle qu'il payera d'ailleurs très chère de son âme et de sa conscience, bien que, comme il le dit lui-même, le manque d'honnêteté personnel ne contamine pas nécessairement l'honnêteté artistique. La fin sublime le confirme !


L'histoire est intéressante, mais elle est ce qu'elle est, on peut le lire aussi sur Wiki. C'est la structure en trois mouvements et l'indiscutable élégance de la prose (v.o.) de Julian Barnes, qui en font un magnifique roman glaçant.
On le lit comme une histoire au passé, mais malheureusement la même histoire se répète en ce moment même aux portes de l'Europe, au vu et au su de tout le monde.....et certains paragraphes entiers dans le texte sont terriblement d'actualité......comme quoi rien ne change.....que dire, la chose la plus humiliante au monde est l'impuissance face à des tyrans qui n'ont aucune conscience, aucune humanité.



Genius and evil
Are two things incompatible.
You agree?
(Pouchkine)
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Selon que vous soyez né à l'Est ou à l'Ouest, votre vie sera ce qu'elle est plutôt que ce qu'elle aurait pu être.
Etre un compositeur talentueux dans la Russie de Staline pouvait ressembler à une malédiction, cette évocation de la vie de Dmitri Chostakovitch va nous en donner la confirmation, car appartenir à une élite dans un régime totalitaire, c'est vivre selon des règles absurdes et non écrites, c'est plaire puis déplaire selon des critères incompréhensibles, c'est craindre pour soi, mais plus encore pour ses proches ce qui est profondément angoissant.
Ce livre m'a beaucoup impressionné, on sait ou l'on croit savoir ce qu'a pu être la vie de l'autre côté du rideau de fer, les purges contre les militaires, les intellectuels, l'arbitraire au quotidien pour tous.
On pourrait croire que les porte-drapeaux du régime étaient privilégiés et à l'abri, protégés par leur talent, l'évidence est que ce n'est pas le cas, enfin pas si l'on s'imagine pouvoir garder un minimum d'indépendance.
Concernant mon ressenti de lecture, j'ai souvent été impressionné par certaines évocations comme les attentes devant l'ascenseur une valise à la main (impossible d'en dire plus sans spolier), les cas de conscience liés aux compromissions incontournables ou encore cet échange avec Staline en personne que j'ai lu en apnée.
Je ne vais pas résumer ce livre qui mérite vraiment d'être lu pour comprendre ce que peut être la vie encore aujourd'hui sous certains régimes. Il y a beaucoup de questions que l'on pourra se poser sur le sens d'une vie, sur la chance ou la malchance de naître ici ou là, sur les compromissions que l'on est prêt à accepter pour protéger les siens et biens d'autres sujets.
Cette biographie se décompose en trois phases distinctes qui détailleront trois périodes phare de la vie de Chostakovitch et l'évolution de sa pensée intime, bravo à l'auteur pour avoir su matérialiser cet aspect, de l'insouciance des premiers jours à l'extrême maturité de la dernière partie de sa vie.
J'ai beaucoup aimé le scénario proposé et sa structure, beaucoup apprécié le style, car l'auteur a su parler du compositeur avec tant de justesse que nous l'avons côtoyé "corps et âme" tout au long de cette biographie, écrite de telle façon que l'on oublie justement que c'en est une.
Pour conclure c'est une lecture qui m'aura instruit et passionné, mais aussi bien fait réfléchir par sa profondeur d'analyse avec, entre autres sujets, l'aversion du compositeur pour les dissidents.
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Julian Barnes choisit de nous montrer la vie sous l'ère soviétique par le prisme de la musique en suivant les pas de Chostakovitch. Il s'attarde plus particulièrement sur trois événements qui ont bouleversé la vie de ce compositeur.
"Du Fratras en guise de Musique", cet article daté de 1936 de la Pravda au lendemain de la représentation de Lady McBeth de Mzenzk, qui interdit toute représentation officielle de l'oeuvre.
Son voyage officiel à New York au Congrès de la Paix en 1948 durant lequel Chostakovitch doit annoner des discours rédigés par le Parti et dénonce toute déviance - notamment celle de son ami Stravinsky.
L'espoir que tout change à la mort de Staline, remplacé par Khroutchev - moment où le Parti choisit en 1960 de l'honorer de la présidence de L'Union des Compositeurs de l'URSS et l'oblige à prendre sa carte au Parti.
Au-delà du rappel de ces événements, Julian Barnes nous interroge sur la question de la survie dans un monde totalitaire. Qu'est ce qu'un héros ? Celui qui choisit le suicide, ou brave les autorités en entraînant dans sa mort celle de sa famille et de ses amis ? Ou plutôt celui qui tente de survivre tout en continuant de produire une oeuvre. Qui accepte toutes les compromissions imposées par le Parti avec une apparente complaisance. Qui ose se regarder mourir de l'intérieur à petit feu. Qui ne réagit pas à l'enthousiasme des Occidentaux éblouis par la Révolution.
Un livre dérangeant et indispensable sur la rééducation mentale des masses.
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« L'art appartient au peuple », cette citation de Lénine est sur tous les frontons…

Comment tuer un homme, musicien reconnu, sans attenter à sa vie, simplement en le persécutant psychologiquement, c'est ce qu'a vécu Dmitri Chostakovitch au temps de l'URSS.

Julian Barnes raconte les interrogatoires menés par Zakrevsky, uniquement parce qu'il a été en contact avec Toukhatchevsky suspecté d'avoir fomenté un « complot contre Staline », telle est la formule consacrée pour éliminer quelqu'un, pourtant héros, maréchal, car il a cessé de plaire au tyran, et au passage, on élimine tous les membres de la famille, les proches, ceux qui lui ont parlé une fois dans leur vie…

Dmitri Chostakovitch préfère attendre dans le couloir, sa valise à la main, pour ne pas être arrêté devant sa famille et être emmené en pyjama à la « Grande Maison » :

« Un de ses cauchemars éveillés persistants était que le NKVD leur prendrait Galya et l'emmènerait – si elle avait de la chance – dans un orphelinat spécial pour les enfants des ennemis de l'Etat. On lui donnerait un nouveau nom et où on ferait d'elle une citoyenne soviétique modèle – un petit tournesol levant son visage vers le grand soleil appelé Staline ». P 27

L'interrogateur change du jour au lendemain, car tombé en disgrâce, lui aussi, éloignant temporairement les soupçons, desserrant un peu l'étau.

Le seul tort de cet homme a été le fait que sa musique ait déplu à Staline : « du fracas en guise de musique » a dit celui-ci qui a assisté à la représentation dans sa loge, caché derrière un rideau, tandis que ses sbires baillaient ou grimaçaient ostensiblement, les musiciens ayant moins bien joué car il était là. Et le lendemain, la phrase faisait la une de « la Pravda »…

Il va devoir apprendre à composer la musique qui plaît au peuple puisque « l'art appartient au peuple », comme si c'était possible, sous la coupe de gens qui n'y connaissent rien ou des musicologues à la botte du régime.

Quand il se rend l'Étranger, il doit lire les discours qu'on a écrit pour lui, démolir Stravinski par exemple, et faire l'apologie du régime. Il ne se laisse pas tenter par l'exil, lors de son passage aux USA car cela retomberait sur sa famille.

On voit la vie de musicien basculer, la peur qui s'installe, on ne l'a pas exécuté certes, mais il aurait préféré la mort physique à cette mort psychologique. Il se trouve lâche, se méprise de plus en plus, sa vie étant devenue un enfer et, peu à peu, il s'en sort par l'ironie. « Il aimait à penser qu'il n'avait pas peur de la mort. C'était la vie qu'il craignait, pas la mort ».

On aurait pu penser que les choses changeraient à la mort de Staline, mais Khrouchtchev ne vaut guère mieux : certes on a dénoncé les purges, rendu leur honneur à certains, mais on est passé « d'un Pouvoir carnivore à un Pouvoir végétarien » comme le dit Anna Akhmatova, on ne tue plus, mais on manipule plus subtilement : Dmitri est obligé de prendre sa carte au parti, alors qu'il avait toujours refusé mais on ne l'aurait pas laissé tranquille…

Une image forte : Chostakovitch demande à une étudiante à qui appartient l'art (la phrase est écrite sur le mur en face d'elle, et affolée elle est incapable de lui répondre, même quand il lui tend la perche en lui demandant ce qu'a dit Lénine à propos de l'art!

J'ai beaucoup aimé ce roman biographique qui envoie un uppercut au lecteur et le fait réfléchir sur le pouvoir, la tyrannie, la persécution morale, l'interdiction de penser par soi-même, devenant l'ombre de lui-même pour survivre et protéger sa famille. Bien-sûr, on peut faire le lien avec les dictateurs actuels qui persécutent toujours autant les dissidents, les méthodes n'ont pas changé…

Je connaissais la chasse aux sorcières contre les écrivains dissidents, ou Noureïev pour la danse, mais pas trop celle exercée contre les musiciens…

Je pourrais parler de ce livre pendant des heures, tant il a suscité d'intérêt, d'émotions, j'ai littéralement vécu avec Dmitri pendant quelques jours, alors j'espère avoir été assez convaincante pour donner envie de lire ce livre.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Chostakovitch est un compositeur que j'apprécie et sa vie ne m'était pas inconnue. Allais-je donc lire un énième document à son sujet, je ne l'aurais pas fait si je n'avais reçu ce livre...
Disons d'emblée qu'après lecture, j'ai été ravi de ce cadeau !

Il ne s'agit pas à proprement parlé d'une biographie mais plutôt d'une version romancée de la vie réelle du compositeur car Julian Barnes s'attache surtout aux réflexions et pensées de Dimitri Chostakovitch, réflexions et pensées bien évidemment imaginées par l'auteur. Il en va de même pour les quelques dialogues du roman.

Le roman s'articule en trois parties :
- Sur le palier : nous sommes en 1936 et le compositeur attend là, près de l'ascenseur, ceux qui vont certainement l'arrêter pour ensuite soit le déporter soit l'éliminer... Alors qu'à 31 ans, sa renommée est grande, Joseph Staline est venu écouter son opéra Lady Macbeth de Mzensk et est sorti pendant sa représentation et le lendemain la Pravda dénonçait l'oeuvre “Du fatras en guise de musique “. S'ensuit un arrêt brutal de sa carrière, il tente d'obtenir des supports mais à cause de l'un d'eux il se voit convoqué à la KGB et réalise qu'il risque d'être arrêté Attendant cela sur le palier afin de préserver sa famille, le compositeur se remémore ses parents et sa jeunesse, ses débuts brillants. Par chance, son interrogateur est lui Même déchu et Chostakovitch survit.
- Dans l'avion : douze ans plus tard, Staline lui demande de représenter l'URSS au Congrès Culturel et Scientifique pour la paix dans le monde à New York, le régime profite de sa renommée et lui fait lire des discours auxquels il n'adhère pas. Lui faisant même attaquer son idole, Stravinsky.
- En voiture : à nouveau douze ans se sont écoulés, le petit père des peuples est mort, et Khrouchtchev lui a succédé. Plus d'exécutions mais le pouvoir est toujours aussi oppressant “Il savait qu'on allait le laisser vivre, et recevoir les meilleurs soins médicaux.Mais dans un sens, c'était pire. Parce qu'il est toujours possible d'avilir un peu plus les vivants. On ne peut en dire autant des morts.”: on le force à s'inscrire au parti et à prendre la direction de lUnion des compositeurs. On lui apporte des articles à publier dans la Pravda qu'il doit signer alors au'il ne les a pas écrits
Toutes ces parties sont relatées sous forme de pensées intérieures, les digressions, comme dans toute pensée, sont nombreuses et donnent au roman tout son relief.
Nous découvrons son caractère profondément pessimiste dans une URSS où l'optimisme le plus total est de rigueur, son aversion pour les occidentaux amoureux de son pays (Rolland, Shaw, Sartre) mais aussi contre les sympathisants des anti-communistes ”Ils veulent des martyrs”, sa passion pour la musique, ses subterfuges pour introduire dans sa musique ses pensées en déguisant la vérité, l'ironie “qui lui permet de préserver ce qui le plus de valeur, alors que le fracas du temps devient aussi fort”, le rôle que doit jouer l'art dans la société, ce ne sera pas ce que disait Lénine (l'art appartient au peuple” mais bien “l'art appartient à tout le monde et à personne. L'art appartient à celui qui le crée et à celui qui l'apprécie.”

Julian Barnes a une empathie certaine pour son personnage qui tente de garder un peu de respect envers lui-même, mais qui se sent de plus en plus lâche. Un homme est-il un lâche quand il doit faire des compromis pour sa propre sécurité et surtout celle de ses proches ? Barnes ne le condamne pas, même après avoir relaté certains faits odieux (ses condamnations de Stravinsky, Soljenitsyne et Sakharov).

Je terminerai par une dernière citation : “Ce qu'il espérait, c'était que la mort libérerait sa musique: la libèrerait de sa vie. le temps allait passer, et les musicologues auraient beau poursuivre leurs débats, son oeuvre commencerait à exister par elle-même.”

Son espoir s'est accompli !
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« L'art appartient au Peuple ». Cette phrase de Lénine aura pesé comme du plomb sur la vie et la musique de Chostakovitch.
Né en 1906 à Saint-Pétersbourg (ou Petrograd, ou Leningrad, ou, ironiquement, Saint-Leninsbourg), dans le milieu de « l'intelligentsia libérale de cette ville suspecte » (entendez : bourgeoise), le compositeur russe voit sa carrière éclore et se développer sous le régime soviétique, qui considère qu' « un compositeur était censé augmenter sa production comme un mineur de fond la sienne, et sa musique était censée réchauffer les coeurs comme le charbon du mineur réchauffait les corps ». Et donc la musique, comme les mines de charbon, les usines et tous les moyens de production, appartient au Peuple. Et le Peuple (entendez : le Petit Père des Peuples), qui est infaillible, a le droit d'exiger des compositeurs qu'ils produisent la musique que le Peuple veut entendre. Et le Peuple veut une musique optimiste. le Peuple veut donc un Chostakovitch optimiste. Autant dire une pure contradiction dans les termes, et une véritable torture pour ce dernier, pour qui « être russe, c'est être pessimiste ».
Ce roman biographique est découpé en trois parties, trois moments terriblement humiliants, lors desquels Chostakovitch dut s'écraser sous le poids du Pouvoir politique.
En 1936 d'abord, lorsque son opéra « Lady Mcbeth de Mzensk », qui triomphe dans le monde entier depuis deux ans, est joué au Bolchoï en présence de Staline. Celui-ci, qui n'y entend que cris perçants et grognements, quitte la salle avant la fin. le lendemain, l'oeuvre est descendue en flammes dans la Pravda, qui titre « Du fatras en guise de musique ». Pour Chostakovitch, désigné « Ennemi du Peuple », l'arrêt de mort est signé. Pendant des semaines de terreur, après une première « conversation avec le Pouvoir », il attendra son arrestation. Celle-ci, par une chance inouïe, n'arrivera pas, son interrogateur ayant lui-même été accusé de complot – et exécuté – quelques heures avant le deuxième « entretien ».
En 1948, alors que Chostakovitch, réhabilité après avoir « reconnu » s'être fourvoyé dans « Lady Mcbeth », est envoyé à New York avec une délégation soviétique à l'occasion du Congrès pour la Paix. Contraint de jouer les perroquets de Staline, il ânonne des discours de propagande qu'il n'a pas écrits, et est obligé de fustiger ce Traître à la Patrie qu'est Stravinsky, qu'il vénère pourtant depuis toujours.
En 1960, Staline est mort, mais le harcèlement sournois du Pouvoir continue. On lui « recommande » d'accepter la présidence de l'Union des Compositeurs d'URSS. Mais pour être digne de cet « honneur » insigne, Chostakovitch doit adhérer au Parti. Sous pression, il finira par le faire, la mort dans l'âme, des larmes de rage et d'impuissance dans les yeux.

La question centrale de ce roman, de la vie de Chostakovitch est : avait-il le choix ? Et quels choix avait-il ? Résister, jouer les héros et devenir un martyr du stalinisme ? Demander l'asile aux USA en 1948 ? Se suicider ? « Mais ces héros, ces martyrs, [...], ils ne mouraient pas seuls : beaucoup de leurs proches étaient éliminés en raison même de cet héroïsme. Et donc ce n'était pas simple, même quand c'était clair. Et bien sûr, l'intransigeante logique s'appliquait aussi dans le sens inverse : si vous sauviez votre peau, vous pouviez sauver aussi vos proches, ceux que vous aimiez. Et puisque vous auriez tout fait pour sauver ceux que vous aimiez, vous faisiez tout pour rester en vie. Et parce qu'il n'y avait pas le choix, il n'était pas possible non plus d'éviter la corruption morale ».
Chostakovitch sait qu'il n'est pas un héros. Il sait même qu'il est un lâche, mais il veut protéger sa famille. Alors il accepte les « remontrances bienveillantes » du Pouvoir mais écrit une musique ironique à double sens, accepte d'être vu comme une caution du Pouvoir et d'être cautionné par lui. Il fait profil bas mais son âme est rongée par une souffrance morale sans nom.
Aujourd'hui la musique de Chostakovitch a réussi à s'opposer au fracas de ce temps soviétique. C'est ce qu'il espérait : « ... que la mort libérerait sa musique : la libérerait de sa vie. le temps allait passer, et les musicologues auraient beau poursuivre leurs débats, son oeuvre commencerait à exister par elle-même. L'Histoire, comme la biographie, s'estomperait : peut-être qu'un jour le fascisme et le communisme ne seraient plus que des mots dans des livres scolaires. Et alors, si elle avait encore quelque valeur – et s'il y avait encore des oreilles pour entendre – sa musique serait ... juste de la musique ».
Au final, à qui l'art appartient-il ? « Ne pas pouvoir répondre était la réponse correcte. Parce que la musique, en définitive, appartient à la musique ».

Ce roman, qui rend parfaitement compte de la pression, du harcèlement, de la terreur distillés par le régime soviétique, est magistral. Comme dans les partitions des grands compositeurs où pas une note, une nuance, un accord, un silence n'est laissé au hasard, chaque mot est ici pesé, réfléchi, aucune phrase, aucune virgule n'est superflue ou gratuite, tout a du sens. Constitué de fragments plus ou moins longs, le roman est cependant très fluide. Il peut sembler répétitif, revenant en cercles concentriques de plus en plus serrés sur les événements, mais ce procédé traduit bien l'état d'esprit d'un Chostakovitch à la fois ironique et tourmenté jusqu'à la moelle, ruminant jusqu'à sa mort la justesse de ses choix. Même si on sent son empathie, l'auteur, qui fait preuve d'une grande finesse psychologique et politique, ne juge pas Chostakovitch et laisse ouverte la question impossible : qu'aurions-nous fait à sa place ?

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Chostakovitch n'est pas un compositeur que j'ai l'habitude d'écouter. Je ne connaissais que la valse n°2 entendue dans un spot publicitaire.

Quand je suis tombée par hasard sur ce livre dans une bouquinerie, j'ai pensé que ce serait l'occasion de le découvrir et d'élargir ma playlist classique.

Julian Barnes nous offre ici un aperçu de la vie entière de Chostakovitch. Enfin, pas tout à fait puisqu'il s'agit d'une biographie fictive. Comme l'auteur l'a souligné à la fin (en citant ses sources) : «la vérité était une chose difficile à trouver, et plus encore à affirmer dans la Russie de Staline. »

Quoi qu'il en soit, il a été facile d'imaginer ce qu'a pu être le quotidien des compositeurs sous Staline : « l'action du pouvoir sur l'art, les limites du courage et de l'endurance, les exigences parfois intolérables de l'intégrité personnelle et de la conscience. » (A. Preston)

L'auteur revient souvent à l'opéra « Lady MacBeth du district de Mtsenzsk » (1934) basé sur le roman de Nikolaï Leskov (1865), lui-même basé – bien évidemment – sur le texte de Shakespeare. Celui-ci à fortement déplu à Staline qui a assisté à une représentation en 1936. Un éditorial dans la Pravda plus tard… sa musique était condamnée par le Parti.

Un excellent roman, même si j'ai parfois été déstabilisée par les aller-retours dans la chronologie.

Tout au long de ma lecture, j'ai écouté cette compilation en 9 CD
https://bit.ly/3B8Uvb3

Je terminerai en disant que j'ai beaucoup aimé l'écriture de Barnes et il n'est pas impossible que je lise d'autres livres cet auteur. En attendant, je vais enchaîner directement avec le texte de Leskov.




Challenge musical 2022-2023
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« Cette première nuit près de l'ascenseur, il avait décidé de ne pas fumer. Il y avait trois paquets de Kazbeki dans sa mallette et il en aurait besoin quand viendrait le moment de son interrogatoire. Et, si cela devait suivre, pendant sa détention. Il s'était tenu à sa décision les deux premières nuits. Et puis ça lui était venu soudain à l'esprit : et s'ils confisquaient ses cigarettes dès qu'il serait dans la Grande Maison ? Ou, s'il n'y avait pas d'interrogatoire, ou seulement la plus brève procédure ? Peut-être qu'ils poseraient une feuille de papier devant lui et lui ordonneraient de la signer et ……. Son esprit n'alla pas plus loin. Mais, dans tous les cas, ses cigarettes seraient perdues. Et donc, il ne voyait aucune raison de ne pas fumer. Et donc, il fumait ».
Cet homme près de l'ascenseur, c'est Dmitri Dmitrievich Chostakovitch. Il attend d'être arrêté. Il s'installe sur le palier chaque nuit – c'est la nuit qu'ils viennent - afin d'éviter à son épouse et sa fille l'insoutenable scène de son arrestation par quelques miliciens méprisants. C'est la période des Grandes Purges, où les exécutions, d'une ampleur sans précédent, pour des raisons réelles ou imaginaires, n'ont de cesse de maintenir le peuple dans une frayeur constante, une angoisse profonde.
Qu'a-t-il fait ? Il a composé un opéra, remportant un succès immense tant en Union Soviétique que dans le monde entier ! Lady Macbeth de Mzensk ! Mais voilà, Staline décide de se rendre au théâtre du Bolchoï ! Pourquoi le Pouvoir s'était-il tourné vers la musique et vers lui alors que ce Pouvoir s'était toujours intéressé davantage aux mots qu'aux notes ? Staline, accompagné de Jdanov et de Mikoïan, va détester son opéra. Ils partiront au milieu de la représentation. Un article assassin paraîtra dans la Pravda sous les directives du Pouvoir où sa musique sera comparée à du FATRAS EN GUISE DE MUSIQUE : « une oeuvre titillant le goût perverti des bourgeois avec sa musique agitée, névrotique ». Cette oeuvre attendra plus de trente ans avant d'être de nouveau sur scène.
(Cela me rappelle l'art considéré par les nazis comme « dégénéré »).
A partir de ce dramatique épisode, Julian Barnes va emporter le lecteur dans un récit glaçant, dans une tragédie humaine qui va se dérouler en trois moments clés de la vie de Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch, chaque chapitre commençant par cette phrase « Tout ce qu'il savait c'est que ceci était le pire moment ».
Chostakovitch sera considéré par le Pouvoir comme » récupérable » et de ce fait, il va bénéficier d'un tuteur politique qui va le rééduquer en la personne du Camarade Trochine ! le Pouvoir ne le lâchera pas beaucoup. La plume efficace de Julian Barnes amène le lecteur à assister, avec effroi, à la destruction psychologique de Chosta.
Sous l'effet des mécanismes mis en place par le Pouvoir afin d'avoir une emprise diabolique sur les individus, la propagande, la peur, l'humiliation, la nécessité de protéger femme et enfants, la censure, la torture, la déportation, Chostakovitch ne pourra échapper à l'Histoire de l'Union Soviétique et sera plongé dans une véritable tourmente psychologique : collaborer puis la honte de collaborer. Il sera parjure à lui-même, lui qui était apolitique. Ainsi, Staline aura réussi à le détruire.
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CHOSTAKO...ZZZzzzZZZzzzZZZ
Dire que je me suis ennuyée à la lecture de cette biographie est un euphémisme dans toute sa splendeur. Je me suis emmerdée comme un rat crevé serait plus juste !
(Pour ceux qui ne remettent pas Chostako, les pubs des assurances CNP, c'était sa valse numéro 2).
Pourtant le pitch était sympa. Une biographie sur Chostakovitch mais une biographie qui s'attarde sur les liens entre artistes et pouvoir communiste dans la Russie Stalinienne et post stalinienne. Et le Petit Père des Peuples, ce qu'il veut, c'est son Beethoven sauce Stroganov, une composition à la grandeur de l'URSS, mais pour le peuple (bref du tirelipinpon sur le Chihuahua version classique). Mais pas vraiment de musique dans cette bio. Que du politique.
Que dire, c'est décousu, très décousu. Pour une biographie, savoir où l'on se situe dans la vie de l'artiste est quand même la base, quelque chose qui doit ressortir. Sa vie privée est à peine effleurée. Non on se concentre vraiment sur les rapports entre le pouvoir et le compositeur... en sachant qu'au pouvoir s'y on s'y soumet, de gré ou de force et que même si c'est de gré, après on peut toujours dire que c'est de force. D'ailleurs la biographie traite aussi de la lâcheté du compositeur. Mais la lâcheté, c'est quoi ? C'est facile de rouspéter en démocratie, nettement moins en dictature.

En bref, J'ai descendu les 250 pages en un aller-retour train, mais cette bio est restée hermétiquement fermée pour moi, bien mieux qu'un tupperware ! Heureusement il reste sa musique. Pour ceux qui sont intéressés par Chostakovitch, il vaut mieux se tourner vers les clefs de l'orchestre de Jean-François Zygel https://www.youtube.com/watch?v=AW6e4EefpUM
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Un grand texte littéraire, admirablement écrit, et d'une fluidité remarquable.

Julian Barnes retranscrit, sans jugement aucun, un destin, celui de Dmitri Chostakovitch, compositeur russe, qui alors qu'il est âgé d'une trentaine d'années se retrouve confronté à la bêtise humaine, et doit faire face au régime totalitaire stalinien, celui-là même qui façonnait les âmes humaines. Il assiste, en 1936, impuissant à la censure de son oeuvre, alors qu'elle était jusque là saluée notamment à l'étranger et qu'il flirtait avec le succès. Il échappe par chance à la mort, son bourreau ayant été fusillé entre temps. Il vivra alors comme temps d'autres, terrorisé, dans la peur de se voir arrêté et fusillé.

«Parce que, si la tyrannie peut être paranoïde, elle n'est pas forcément stupide. Si elle était stupide, elle ne survivrait pas ; de même que, si elle avait des principes, elle ne survivrait pas. La tyrannie comprenait comment certaines parties – les parties faibles – de la plupart des gens fonctionnaient.»

Et à ce moment là, que faire ? Collaborer et sauver sa peau et celle de sa famille ? Ou risquer la fonctionnelle balle dans la nuque ? Dmitri Chostakovitch collaborera, dénoncera, se pliera à la norme stalinienne...et vivra, mais à quel prix. La culpabilité, la honte le rongeront toute sa vie, une vie de lâche, dit-il lui-même, condamné à se débattre dans le chaos de son époque.

«Mais il n'était pas facile d'être un lâche. Etre un héros était bien plus facile qu'être un lâche. Pour être un héros, il suffisait d'être courageux un instant – quand vous dégainiez, lanciez la bombe, actionniez le détonateur, mettiez fin aux jours du tyran, et aux vôtres aussi. Mais être un lâche, c'était s'embarquer dans une carrière qui durait toute une vie. Vous ne pouviez jamais vous détendre. Vous deviez anticiper la prochaine fois qu'il vous faudrait vous trouver des excuses, tergiverser, courber l'échine, vous refamiliariser avec le goût des bottes et l'état de votre propre âme déchue et abjecte. Etre un lâche demandait de l'obstination, de la persistance, un refus de changer – qui en faisaient, dans un sens, une sorte de courage. Il sourit intérieurement et alluma une autre cigarette. Les plaisirs de l'ironie ne l'avaient pas encore abandonné.»

Un sujet sensible, évoqué avec humour et élégance qui élèvent indéniablement cette bouleversante et tragique histoire au rang de mémorable. L'auteur nous pousse à la réflexion. Qu'aurais-je fait à sa place ? Qu'auriez-vous fait ? En reposant "L'Art de perdre" d'Alice Zeniter ou encore "La fête au bouc" de Mario Vargas Llosa, cette même question me taraudait. Avaient-ils vraiment le choix ? Avaient-ils les armes, les outils [dont nous bénéficions aujourd'hui] pour lutter ?

Une biographie passionnante, une ode à la musique, un livre poignant, important.

«C'était l'ultime et incontestable ironie de sa vie : qu'en le laissant vivre, ils l'avaient tué.»
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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