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Critique de JustAWord


Raconter des histoires, et en tirer des leçons.
Voilà le pari de l'américaine Kelly Barnhill, déjà récompensée pour La Fille qui avait bu la lune publié en 2016 aux États-Unis et traduit en France l'année suivante aux éditions Anne Carrière.
Avec son nouveau roman, L'Ogresse et les orphelins, l'autrice reste en jeunesse mais n'abandonne pas pour autant l'univers des contes.
Toujours traduite par Marie de Premonville, voici un nouvelle histoire à propos d'une ogresse et d'un village charmant où habitent des orphelins au grand coeur…

À Pierre-dans-la-Vallée, les choses ont changé. Jadis connu pour être un des villages des plus charmants, il semble qu'une ombre étreigne le coeur des habitants depuis le tragique incendie de la bibliothèque qui faisait la fierté de la ville. D'incendies en incendies, Pierre-dans-la-Vallée s'est mis à dépérir, les arbres fruitiers à mourir, les uns et les autres à s'enfermer chez eux. de ce village accueillant et toujours solidaire ne restait qu'un souvenir que quelques personnes chérissent encore.
Parmi celles-ci, les quinze orphelins de la Maison des Orphelins.
Anthea, Bartleby, Cassandra ou encore Elijah tentent de comprendre ce qui a pu arriver à leur cher village. Comment a-t-il pu si rapidement changer alors même que leur Maire, un ancien chasseur de dragons, est admiré de tous pour son efficacité et sa sagesse ? Myron et la Directrice, préoccupés par le sort des orphelins dont ils ont la garde, désespèrent et s'épuisent.
Mais un beau jour, des cadeaux apparaissent devant l'Orphelinat et sur le perron des maisons du village. Des gâteaux, des cageots de légumes, des fruits, des tartes… ! Qui peut bien déposer tout ça à la faveur de la nuit ?
Est-ce que cela aurait un rapport avec la Maison de Traviole apparue quelques années plus tôt et dans laquelle une ogresse a élu domicile en compagnie d'une ribambelle de corbeaux ? Et si notre Ogresse était au contraire la vraie menace pour le village et ses habitants… d'autant plus qu'une des orphelines vient de disparaître mystérieusement… Il serait temps pour le Maire et les habitants de Pierre-dans-la-Vallée de se poser les bonnes questions !
Kelly Barnhill nous présente ce qui fut et ce qui est, à savoir un village qui confine à l'utopie puis un endroit triste et gris où l'on se méfie de son voisin. Quelque chose tourne mal et seul ceux qui n'ont rien, les orphelins, comprennent et tentent de continuer à s'entraider. Car eux savent ce que c'est de ne rien avoir et de devoir compter les uns sur les autres.
Pour l'américaine, les enfants sont merveilleux, porteurs d'espoir et encore tout plein de possibles. le monde, dans son ensemble, regorge de merveilles et de choses étonnantes : des ogres et des dragons, des corbeaux et des chats plus malins qu'ils n'en ont l'air, des pierres ancestrales et des arbres qui murmurent. Les livres eux-mêmes semblent habiter d'une certaine magie.
Dans ce conte, pourtant, le monde réel n'est pas bien loin et l'optimisme forcenée de Kelly Barnhill n'est pas aveugle, c'est d'ailleurs ce qui fait sa force.

L'Ogresse et les orphelins peut s'approcher de deux façons. Comme un enfant ou comme un adulte. Et ce qui révèle sa justesse, c'est qu'il s'adresse aux deux, simultanément, avec un bonheur égal. le jeune lecteur y trouvera une histoire charmante, parfois très drôle parfois triste, remplie de personnages attachants et inattendus, plein de rebondissements et de découvertes étranges. L'adulte, lui, y verra un conte bourré de métaphores et de concepts sur la société moderne carrément géniaux, insérés avec malice et n'entravant jamais la course d'un récit émouvant et sensible.
Car dans Pierre-dans-la-Vallée, c'est une histoire de différences qui se joue, ou la rencontre entre une ogresse — et les ogres, on le sait, ont toujours mauvaise réputation — et une ville rongée par la peur et l'ignorance.
Au-delà des apparences, Kelly Barnhill s'amuse à contourner les attentes, transforme des oiseaux de malheur en êtres affables et particulièrement intelligents, remplace un monstre de contes par une créature d'une humanité et d'une bonté incroyables, recycle la figure du dragon pour en faire une race à la fois sage et capable du pire.
Et puis voici qu'une bibliothèque brûle, que la culture et les livres, que les histoires et leurs enseignements désertent. Alors la société dépérit, les hommes prennent peur, s'appauvrissent en esprit comme en imagination, et le pire peut ainsi advenir. La peur, outil de manipulation suprême, permet de trouver des boucs émissaires. La peur aveugle et détruit.
Et la solution ne passe pas forcément par une escalade vers davantage de violence. L'Ogresse et les orphelins se veut le contraire, une sorte de ré-enchantement d'un temps où l'on aurait oublié qu'il ne faut pas craindre l'autre, qu'il vaut mieux partager qu'accumuler, qu'il ne faut pas juger mais comprendre. le résultat, aussi beau qu'intelligent, offre à l'histoire des lectures multiples qui raviront les lecteurs de tout âge, avec des échos de notre société actuelle pour le meilleur et pour le pire.

Et puis surtout, il y a ce talent d'écriture, cette façon incroyable d'écrire les peines et les joies, de prendre des personnages comme des archétypes et d'en faire autre chose, de fouiller l'intérieur et d'en faire ressortir le meilleur. Même le grand méchant dans tout ça a quelque chose à apporter à l'ensemble, une sorte d'image de ce qu'il se passe quand on se laisse aller à l'égoïsme et que l'on ne tente plus d'aller vers les autres de façon sincère et désintéressée. L'Ogresse et les orphelins a ce côté enchanteur qui réjouit tout en conservant sa lucidité. Oui, le mauvais existera toujours. Mais il n'est pas inéluctable, et, surtout, il n'est pas la seule issue même quand on n'a plus d'espoir pour soi.
La vraie leçon d'humanité, ce sont des enfants orphelins qui la donnent, fragments brisés et délaissés qui ont compris qu'en ayant plus rien, on comprend d'autant mieux l'importance de donner. Car plus l'on donne, plus l'on a, et c'est bien là l'enseignement principal de ce conte où le pouvoir des mots (re)devient primordial, indispensable.
Sans les mots, sans les histoires, nous oublions le poids et la signification des actes du quotidiens, on se renferme sur soi et l'on oublie qu'il existe d'autres existences que la nôtre. Au centre du roman de Kelly Barnhill, on retrouve des notions aussi fondamentales que l'entraide, la bonté, la tolérance et la générosité et l'on comprend qu'il faut se méfier des dragons qui se faufilent dans notre village pour nous monter les uns contre les autres en jouant de nos peurs et de nos différences.
L'Ogresse et les orphelins est un ravissement qui n'oublie pas que le conteur doit autant transporter son lecteur que lui enseigner quelque chose. Pour en sortir grandit, peu importe notre âge.

Sublime roman jeunesse à la fois brillant et émouvant, drôle et mélancolique, L'Ogresse et les orphelins nous émerveille avec des mots légers et pourtant si lourds de sens, offrant magie et beauté à un monde devenu gris. Kelly Barnhill est une conteuse hors pair à l'intelligence acérée et à la plume remarquable.
Lien : https://justaword.fr/logress..
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