La pente secrète des avenues ramène d'elle-même malignement vers la touffeur du hallier central : forêt labyrinthe, à la voirie trompeuse et non innervée, qui semble machinée tout entière autour d'une chambre secrète : quiconque fait l'expérience de se laisser aller en aveugle au hasard des allées se retrouve naturellement empelotonné dans le cocon de la forêt-piège, et, s'il ne dispose d'un plan ou d'une boussole, ne saurait s'en extraire à moins des cailloux du Petit Poucet.
Julien Gracq
Carnets de grand chemin
Ce qui dérivait immanquablement dans sa direction le cours de mes promenades, c'étaient les friches, les pâtis de chèvre semés de chicots rocheux du mont Palatin, totalement imprévus pour moi, où le vent inclinait les herbes sauvages en plein cœur de la ville, ou encore l'immense berceau de gazon inhabité du Circo Massimo, allongé entre les maisons comme un hippodrome désaffecté, prémuni contre les lotissements par quelque tabou municipal. Ces clairières urbaines contre nature, ces enclos de solitude amis du vent, restitués à la sauvagerie et aux plantes folles, et où il semble qu'on ait semé du sel, je ne me lasserais pas aisément de les arpenter : l'air qui les balaie, pour toute la place nette que le hasard a faite ici de l'alluvion étouffante du souvenir, a plus qu'ailleurs un goût de liberté.
Julien Gracq.
La forme d'une ville.
"un voyage fut-il de mille lieues,commence sous votre chaussure".CONFUCIUS.
Au vagabond des villes essentiellement urbain,qui élit son domicile dans la rue , s'opposait traditionnellement le chemineau, son homologue des routes et des villages , qui avait fait de la nature tout entière son royaume .
Je suis en racontant mes voyages, comme j'étais en les faisant ; je ne saurais arriver. Le cœur me battait de joie en approchant de ma chère Maman, et je n'en allais pas plus vite. J'aime à marcher à mon aise et m'arrêter quand il me plaît. La vie ambulante est celle qu'il me faut. Faire route à pied par un beau temps, dans un beau pays, sans être pressé, et avoir pour terme de ma course un objet agréable : voilà de toutes les manières de vivre celle qui est la plus de mon goût.
(Vertige de la marche - Jean-Jacques Rousseau)
Tu traînes. Tu imagines un classement des rues, des quartiers, des immeubles : les quartiers fous, les quartiers morts, les rues-marché, les rues-dortoir, les rues-cimetière, les façades pelées, les façades rongées, les façades rouillées, les façades masquées.
(Un homme qui marche - Georges Perec)