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Critique de MarcelineBodier


Qu'est-ce qu'un destin ? Ce n'est pas ce qui nous arrive : c'est ce que nous faisons de ce qui nous arrive. Avec les mêmes bonnes surprises, avec les mêmes malheurs, les uns ne vont rien faire, les autres vont s'enfoncer, et d'autres encore vont monter plus haut. Aristide Barraud a déjà eu plusieurs destins avant trente ans, et à chaque fois, il est monté plus haut. Il l'a fait malgré les montagnes russes que la vie lui a réservées : il voulait devenir rugbyman professionnel, il raconte comment toute son enfance a été dominée par ce désir, et comment il s'est approché du sommet. Il voulait devenir rugbyman professionnel, il raconte comment une rafale d'arme automatique a détruit ce rêve un certain soir de 13 novembre, mais aussi comment il est revenu sur le terrain en déjouant tous les pronostics. Il voulait devenir rugbyman professionnel, il ne l'est plus, mais c'est lui qui l'a décidé après s'être donné toutes les chances de revenir au sommet.

Beaucoup de choses m'ont plu dans ce livre, écrit très simplement, avec une construction agréable qui, sans doute comme la vie de l'auteur, tourne autour d'une date qu'il désigne comme le point de départ d'une deuxième naissance, racontant tantôt l'avant, tantôt l'après, tantôt le pendant, et y revenant sans pour autant y coller.

J'ai peut-être encore plus aimé le fil rouge familial qu'il fait apparaître, qui lui donne une dimension qui va au-delà du témoignage, en en faisant une réflexion sur le destin. Car ce n'est pas uniquement le destin d'un homme et de sa soeur, Alice, qui s'est joué le 13 novembre, c'est celui de toute une famille et c'est le sens que nous donnons à la notion de filiation. Ce qui est arrivé à Aristide Barraud ce soir-là, l'horreur mais aussi la volonté invraisemblable, envers toute logique physiologique, d'en sortir, c'est ce qui était déjà arrivé à l'un de ses ancêtres un siècle plus tôt, pendant la première guerre mondiale (c'est d'ailleurs intentionnellement que je poste cette chronique un 11 novembre). Il y avait déjà une légende familiale, dit-il, mais on devine qu'elle était tranquille, qu'elle était là, qu'elle reposait en tous les descendants de cet ancêtre, qui était peut-être déjà lui-même dépositaire du même miracle au siècle précédent - qui sait. Elle s'est exprimée en Aristide Barraud une première fois quand il a décidé qu'il monterait au sommet du rugby même sans avoir le physique pour cela (dit-il), et elle s'est exprimée de nouveau quand il a décidé qu'il survivrait même s'il avait été touché d'une manière qui aurait dû le tuer.

Car il l'a décidé, aussi incroyable que cela paraisse. Il l'a décidé parce qu'il était dans une condition physique qui le lui a permis, certes, mais aussi parce qu'il est d'une lignée qui décide cela, qui réussit cela, il l'a décidé parce qu'il ne "voulait pas tuer sa famille et ses amis en mourant" (je le cite de mémoire), il l'a décidé parce que sa soeur était blottie contre lui et qu'il voulait qu'elle vive, et il l'a décidé parce qu'un homme providentiel est venu aider ce destin à s'accomplir. C'est un autre fil rouge extraordinaire du livre : celui qui a placé Serge Simon, médecin, rugbyman, sur le chemin de l'auteur plusieurs fois, depuis le moment où, admirant l'homme, il en avait offert un livre à son père, jusqu'au moment où cet homme est venu lui porter secours le 13 novembre et est resté à ses côtés pour qu'il ne sombre pas. Un livre et une vie tissés de fils rouges... jusque dans leur bande son, celle du chanteur Oxmo Puccino, dont l'auteur aimait la musique depuis qu'il l'avait croisée par hasard dans le walkman d'un salarié de la cantine de son collège, puis de nouveau dans une période de deuil, chanteur dont la phrase "La vie est une chance, le reste du mérite" est sortie dans un nouvel album le 13 novembre 2015, et enfin qu'Aristide a rencontré lorsqu'il a donné un concert à Massy, sa ville, quelques mois après cette date.

Voilà, j'ai aimé que ce ne soit pas un livre de témoignage à chaud, ni un livre qui donne des leçons, ni qu'il donne des recettes sur ce qu'il faut faire si un drame survient, mais un livre qui replace le drame, les leçons, le témoignage, au carrefour de multiples fils et dans un parcours, de façon, on le devine, à pouvoir donner à l'absurde un sens qui permette de continuer. Il y a des regrets, il y a des sacrifices, il y a des pleurs. Mais il y a aussi une suite et la fin du livre est ouverte.

Destin, drôle de mot que je me répète depuis que j'ai refermé ce livre... est-ce que cela existe ? Je me dis maintenant que oui. Mais non, décidément, ce n'est pas ce qui nous arrive. Et si c'est ce que nous en faisons, c'est aussi, et peut-être plus encore, la manière dont nous y réfléchissons après-coup, dont nous donnons sens à l'absurde, dont nous le faisons entrer en résonance avec toute notre histoire pour lui donner sa place dans la logique de notre vie, parce que sinon, on ne pourrait plus vivre. Il ne faut pas que ces choses-là arrivent. Mais puisqu'elles lui sont arrivées, à lui, il en a fait quelque chose.

C'est pourquoi il faut lire Mais ne sombre pas. Pas parce que c'est un témoignage poignant (même si c'en est un), mais parce qu'il nous incite à réfléchir nous aussi à ce qui, dans nos vies, fait destin.
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