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Critique de oiseaulire


Je n'ai jamais vu la version de Walt Disney et n'ai donc pas eu à corriger ma représentation de Peter Pan en cours de lecture.

Je le connaissais seulement par l'interprétation psychanalytique qui l'a retenu comme l'archétype de l'homme à la psyché infantile, séducteur, narcissique, manipulateur jusqu'à la cruauté, centré sur lui-même, prêt à entraîner ses proches dans de folles aventures sans leur assurer le moindre filet de protection. Type d'homme totalement dénué d'affect, sauf envers sa propre personne, il vit dans l'instant présent, sans mémoire, sans scrupule, sans attachement.

Ni père, ni mari, ni amant, ni ami, cet homme n'est qu'un fils, mais un fils que sa mère aurait abandonné. Il souffre d'une carence maternelle incurable. Son manque est un puits sans fond, un vortex qui aspire et broie tout.

Le héros de James M. Barrie correspond point par point à cette description, sauf par son apparence qui est celle d'un éternel petit garçon qui refuse de grandir : ayant été rejeté par sa mère, il ne peut ni ne veut devenir un homme. Car on ne peut donner ce qu'on n'a pas reçu.

Je ne connais pas les rapports de James Barrie avec Freud, ni même s'il avait connaissance de ses travaux. Mon seul point de repère pour l'instant est que les deux hommes furent contemporains, le psychiatre viennois l'aîné de quelques années seulement.

Ce court roman est agréable dans l'ensemble quoique je me sois ennuyée à la lecture de l'attaque des indiens par les pirates : ce sont sans doute ces aventures qui donnent au conte cette réputation de s'adresser aux enfants.

Le personnage féminin, Wendy, est exclusivement enfermé dans un rôle de maternage-ménagère alors qu'elle a le même âge que les petits garçons, il ne faut pas l'oublier. Eux jouent, bravant bien des dangers (imaginaires), tandis que Wendy représente la discipline, la sieste imposée, les chaussettes reprisées, les repas préparés, la maison nettoyée. Cette exclusion des filles de l'univers de l'enfance est répulsif pour la sensibilité contemporaine. Mais Barrie est né en 1860 et Peter Pan sorti en 1902. Quant à la figure de la mère, il est difficile de la remettre en cause, tant elle est centrale pour l'auteur qui échoua à remplacer dans le coeur de la sienne le frère préféré mort accidentellement.

Ce livre est en fait une ode aux mères, à toutes les mères (les pères représentés par Barrie étant immatures et un peu veules). Tour à tour sont évoquées les mères aimantes, indifférentes, les mères sécurisantes prêtes à aimer leur enfant quoiqu'il fasse, les mères qui remplacent trop vite dans leur coeur un enfant par un autre, trahison suprême, celle qu'a vécue Peter Pan, et la cause de son indifférence aux autres : son coeur ne connaît pas l'amour fidèle d'une mère et s'est racorni dans une exubérante dureté.

James Barrie passa une partie de sa vie à réécrire cette oeuvre à la portée symbolique et à la vertu probablement thérapeutique : à la mort de son frère, il fut victime d'un arrêt de croissance peut-être lié au désintérêt réel ou supposé de sa mère ; il revêtissait les habits du défunt pour susciter son attention et la consoler. Adulte, sa taille resta en dessous de la moyenne et il ne put probablement pas (ou peu) consommer son mariage, rapidement dissous. Ne ressentant aucune attirance charnelle pour le sexe opposé (ni pour le sien), tout comme La Bruyère, il ne noua plus que des amitiés platoniques et, au décès de proches, assura la tutelle de plusieurs de leurs enfants, consacrant une partie de ses revenus littéraires à leur éducation. Prise de responsabilité aimante en laquelle il diffère radicalement de son héros.

Peter Pan est un conte cruel : le territoire de l'imaginaire infantile est sans merci, les rapports de domination des enfants entre eux est une terrible préfiguration du monde qu'il découvriront plus tard.
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