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Critique de Zebra


Nous sommes en 1556 : François Poquet, étudiant en médecine à Montpellier est plus intéressé par les bons petits plats et les recettes de cuisine que par les médicaments, les cours d'anatomie et les dissections, au grand désespoir de son maître, l'apothicaire Laurent Catalan. La vie pourrait s'écouler tranquillement pour François jusqu'au jour (page 47) ou son ami Bernd tombe malade et meurt dans des souffrances atroces après avoir bu un breuvage étrange, acheté auprès d'un charlatan. Étrange ? Oui (page 56), dans les deux jours qui suivent l'absorption, le corps de Bernd se couvre de taches jaunes ! Les médecins craignent l'épidémie quand, dans les jours qui suivent, ils constatent (page 73) plus de 50 décès du même type, tous inexplicables, dans la région de Montpellier. Les apothicaires, et donc maître Catalan, sont suspectés de tentative généralisée d'empoisonnement. La rumeur enfle !

A cette époque (page 75), les charlatans et les « empiriques » parcourent les campagnes en montrant de faux diplômes et se remplissent les poches en vendant des marchandises frelatées ; les conflits corporatistes abondent entre médecins, chirurgiens, barbiers, et apothicaires : le médecin - qui connaît les herbes - a perdu (page 23) le monopole de la fabrication des médicaments au profit des marchands d'épices mais (page 32) il préside les anatomies quand le chirurgien n'est pas disponible ; le barbier, qui a le monopole des saignées, de la pose de ventouse et de l'examen des urines, ouvre les corps pour les leçons d'anatomie données à l'université ; l'apothicaire vend (page 22) des médicaments sans ordonnance ; les dissections se déroulent de moins en moins (page 56) au domicile du médecin ; les déterreurs de cadavres (page 33) sévissent dans les cimetières et fournissent aux chirurgiens les corps dont ils ont besoin pour les anatomies « cueillant rotules, cubitus et crânes comme des pâquerettes » ; les barbiers n'ont pas toujours la main sûre (page 63) et font parfois du hachis avec les cadavres ...

Maître Catalan, comme apothicaire, fait un suspect idéal car il a des origines juives et des sympathies pour les protestants. A cette époque, le juif est craint et méprisé, même quand il est converti, (page 90) car il conserve les traditions de son ancienne religion et pratique un catholicisme de façade. Certaines professions leur sont interdites et (page 156) ils vivent assez souvent relégués dans des ghettos, les portes étant fermées le soir puis rouvertes au matin. Quant aux protestants et aux luthériens, ils n'ont pas bonne presse car (page 173) ils n'hésitent pas à déclarer que les anges, les saints et les vierges sont autant de superstitions papistes. Quant aux calvinistes, ils voient la main du démon dans l'étude des astres et des horoscopes, la musique, les farces, les fards, la mode, le jeu et la comédie !

Devant l'accusation de leur maître, François et Félix se mettent alors à la recherche des vrais empoisonneurs : l'enquête commence ! Se désaltérant un soir à la taverne du Chapeau Rouge, un repaire de racaille, ils tendent l'oreille (page 79) et, au milieu du beuglement des tanneurs ivres, ils entendent un mercenaire Espagnol raconter qu'il a rapporté des Amériques une cargaison de plantes vénéneuses ! L'Espagnol en a trop dit : ils le retrouvent en milieu de nuit (page 84) gisant dans une mare de sang, le corps lardé de coups de couteau. En réaction, la Faculté de médecine déclenche le contrôle de toutes les officines (page 93) : elle découvre que maître Catalan a « perdu » des substances mortelles (aconit, belladone, etc.). Catalan est mis en prison. Sa survie alimentaire dépend alors du bon vouloir de sa famille et de ses amis, et il risque gros, à commencer par la torture (page 213) dont on n'est pas avare pour extorquer les moindres aveux : tenaillement, supplice de l'eau, passage sur le corps du rouleau à épines de fer, brodequins, estrapade, versement d'huile chaude et de plomb fondu dans les plaies, etc. Sur des conseils avisés, François et Félix poursuivent leur recherche dans un périple qui les conduit à rencontrer les plus grands savants de toute la Renaissance afin qu'ils les aident à identifier la plante à l'origine de ces empoisonnements. Cette recherche est pleine d'embûches : à Marseille (page 138), ils sont attaqués et jetés dans les eaux du port, à Bologne, ils tombent dans un guet-apens ; à Padoue, il ne fait plus aucun doute que le poison est un mélange de tomate broyée et de fleurs de datura ! Il reste à trouver les coupables et à faire sortir maître Catalan de prison. Je ne vous en dis pas plus …

Vous avez entre les mains un polar gastronomique assez particulier en ce sens que la gastronomie occupe une place de choix, reléguant l'intrigue à une place très secondaire : les apprentis détectives en sont pour leurs frais, mais les autres découvrent des détails passionnants ! Ainsi, le vin était consommé coupé avec de l'eau ; (page 61) le crabe était considéré comme nourriture du diable ; (page 70) les oeufs pouvaient être pochés dans de l'eau de rose ; (page 166) les légumes verts étaient considérés comme nourriture de gueux. Autre particularité, les détails abondent sur la vie à cette époque. Ainsi, (page 44) dans les villes, on traversait les fleuves sur des ponts constitués de bateaux amarrés les uns aux autres ; à l'occasion de certaines fêtes, (page 172) outre les jongleurs et les cracheurs de feu, il y avait (page 43) des saltimbanques qui faisaient se battre des lions et des taureaux auxquels on avait limé les cornes ; (page 71) la religion fustigeait la volupté, mais les bordels pullulaient, (page 84) essentiellement fréquentés par les carabins ; (page 53), les soldats Espagnols avaient ramené des Amériques la syphilis ; (page 37) les rues étaient jonchées de d'immondices (page 82) et de rats crevés ; (page 82) les marchands s'étalaient, malgré les édits, comme ils le pouvaient ; (page 38) les centres-villes n'étaient que maisons empilées les unes sur les autres, avec des ruelles qui n'étaient que de sombres boyaux, et l'incendie était le danger le plus redouté ; (page 23), tout n'était que conflit, bouchers contre chair-cuitiers, traiteurs contre rôtisseurs, pâtissiers contre boulangers ; (page 136) les villes portuaires dégageaient une odeur pestilentielle ; (page 178) les chemises en dentelle de Venise et (page 129) les chausses violet foncé avec ornements de soie étaient à la mode ; (page 60), avec la peau des requins, on faisait des poignées d'épées ; (page 105) dans les salines, s'activaient des centaines de travailleurs ; (page 124) c'était folie que de voyager la nuit à cause des brigands de grands chemins. L'ouvrage est plein d'odeurs : certaines (page 45) vous rendent ivre de bonheur comme la casse d'Égypte, le safran Perse, la cardamome et la cannelle d'Inde, le musc du Tibet, le galanga et la rhubarbe de Chine ; (page 27), l'odeur chaude, lourde, presque acre de la cannelle peut vous envelopper comme la promesse d'une nuit d'amour ; et la tomate (page 47), avec sa couleur sang de dragon, dégage une odeur douce, acide et veloutée ! Quelques « photographies » illustrent agréablement le récit : (page 143) Bologne la rouge apparut dans toute la splendeur du soleil couchant ; (page 151) la ville était une marée ocre s'étendant à l'infini, hérissée de centaines de tours de hauteur et de formes différentes. Et quelques expressions anciennes nous font sourire : (page 7) « salopiottes de scarabasses ! » ; (page 38) « jamais je n'ai eu bandaison si drue ».

En conclusion, « Meurtres à la pomme d'or » est un polar peu palpitant, au suspense de façade, sans grande tension et sans rebondissements, au rythme un peu faible, avec un style qui manque de relief mais … c'est un documentaire plaisant et fouillé sur la vie économique, religieuse, sociale, scientifique et artistique de l'époque, une plongée dans la gastronomie du 16ème siècle, un ouvrage court (250 pages), gourmand et sensuel (page 235, « il s'enfonça en elle, brûlante et fondante ») où détails, odeurs et sensations abondent. Les personnages sont simples mais attachants, vous faites une promenade dans des villes prestigieuses et, si le coeur vous en dit, il y a quelques recettes De La Renaissance à la fin du livre ! Michèle Barrière, historienne de la gastronomie, nous livre ainsi une réussite recommandable auprès des gourmets et des passionnés du 16ème siècle.
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