AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Antyryia



Décidément, cet auteur est totalement frappadingue.

Rencontré à Arras le premier mai dernier, il m'avait pourtant fait l'impression d'un homme aimable, érudit et modeste.
Mais il confirme une nouvelle fois avec le jardin du bossu - son livre le plus vendu à ce jour, même s'il est en passe d'être rejoint par Hôtel du grand cerf - qu'il est complètement barré.
Ses romans font tous preuve d'excentricité, mais on atteint ici des sommets dans l'humour décalé et absurde.

Karine Giébel a récemment dénoncé l'esclavage moderne dans son roman Toutes blessent, la dernière tue. Un livre extrêmement dur et cruel qui nous prend aux tripes et nous arrache quelques larmes.
Quand Franz Bartelt évoque à son tour la domesticité de nos jours, l'histoire prend rapidement une tournure tellement loufoque que ce sont nos muscles zygomatiques qui sont cette fois bien davantage sollicités.

Le jardin du bossu, c'est l'histoire de la rencontre de deux hommes que tout semble opposer.
Le narrateur est assez prétentieux, un anti-héros persuadé de son intelligence et de sa débrouillardise.
Un homme de gauche, profondément pour le partage des richesses.
"Je suis tellement en faveur des pauvres que pour rien au monde je ne voudrais devenir riche, même par des moyens légaux."
Alcoolique, poète, passé à quelques reprises par la case prison, il est aussi au chômage et le travail c'est de toute façon pas trop son truc.
"C'est parce que je connais le code du travail que je n'ai jamais tellement tenu à travailler."
Alors pour vivre, pour payer ses bières et surtout pour satisfaire sa moitié, Karine, pour qui l'argent a des vertus particulièrement aphrodisiaques, il lui arrive de commettre quelques menus larcins.
"Il ne s'agit pas de voler pour voler ou de voler pour s'enrichir, mais de voler pour mieux répartir les richesses, pour établir une société plus juste et une justice plus sociale."
Alors lorsqu'un soir au bar il verra un type deux fois plus bourré que lui, respirant la richesse par tous les pores de la peau, il suivra ce con jusque chez lui.
"Le con. Il n'y a pas d'autre mot. le con."
C'est de l'argent facile qui lui tend les bras.
Avec beaucoup de malice, notre couguar se faufilera dans la maison du con, profondément endormi.
Parce que oui, notre homme use et abuse des métaphores animales. Il est aussi habile, malin, rusé, dépourvu d'émotions et patient qu'un couguar.
"Je suis né sous le signe des félins. Rien ne m'échappe."
Et pourtant, rien ne va se dérouler comme il l'avait prévu.

Son expédition était pourtant bien partie. Les tiroirs recelaient des montagnes de billets.
"Le pognon, c'est de la poésie à l'état pur, du diamant, des perles de pluie venues d'un pays où il ne pleut pas."
Mais le con - de son vrai nom Jacques Cageot Dinguet - se présentera face à lui de façon impromptue, une arme à la main.
Notre voleur amateur, un peu moins fier subitement, proposera alors à son hôte de lui restituer son butin et de se quitter bons amis.
Jacques a l'air d'un homme raisonnable, calme, gentil, altruiste ... et absolument pas saoûl.
Mais le propriétaire des lieux, peut-être pas si con finalement, a tout manigancé, et ses projets sont bien différents.
En échange de tout cet argent qu'il vient d'amasser, notre prédateur va devoir faire le ménage chaque matin.
Il deviendra un otage, un docile serviteur.
Et sa première tâche sera de creuser un trou à la cave pour y enterrer son prédécesseur, dont le cadavre frais gît encore dans une pièce à proximité.
Il sera certes retenu prisonnier, mais il aura accès s'il le souhaite à la salle de gym, à la bibliothèque, à la télévision qui lui proposera notamment pas moins de sept cent cinquante heures de vidéos de téléachat.
Afin de ne pas finir à son tour au sous-sol, notre désormais victime jouera le jeu de son ravisseur, en attendant qu'une opportunité se présente.
Et un lien très fort s'établira entre le pauvre de gauche et le bourgeois de droite, en une parodie déjantée du syndrome de Stockholm.
"Je crois que je n'étais pas loin d'être fier d'avoir été enlevé par un type pareil."
"Je me suis défendu de le trouver sympathique. Mais il m'attirait, il m'inspirait confiance."

En effet les deux hommes vont tantôt s'affronter, tantôt se respecter, et nous offrirons tout au long du roman des dialogues absolument hallucinants.
"Je ne veux surtout pas vous déplaire, vous êtes mon invité."

Publié en série noire en 2004, le jardin du bossu n'est pourtant pas à proprement parler un polar ou un roman noir.
Certes, on y retrouve un homme prisonnier d'un sociopathe dont la cave ressemble à un charnier ... Mais c'est au final juste une toile de fond, une situation qui serait absolument horrible chez n'importe quel autre auteur mais qui pour Bartelt n'est qu'un décor de théâtre dans lequel il puise les idées les plus extravagantes et surréalistes.
Chaque personnage est une farce ambulante, qu'il s'agisse des deux principaux protagonistes ( on se délecte de la mauvaise foi du narrateur ) ou des autres intervenants, notamment féminins.
La Culture avec un C majuscule côtoie les réflexions les plus absurdes ( "Il y a du compassionnel dans la diarrhée." ), et la politique devient d'une simplicité enfantine.

Comme il le fera quelques années plus tard de bien plus belle façon encore dans La fée Benninkova, les quelques passages érotiques se combinent souvent à la poésie.
Tellement d'auteurs ne parviennent pas à décrire une relation sexuelle sans devenir scabreux.
Bartelt, lui, parvient à détailler la sodomie ou la fellation sans aucune vulgarité, avec toujours cette impression de ne pas y toucher.
"D'ailleurs c'est dans une surprise comme celle-là que nous avons marché sur Sodome, un soir, je me souviens. Jusque-là, elle refusait."
"Le moelleux de sa langue se mêlait à la fermeté gingivale, un vrai régal, comme le sucré-salé en cuisine, ou le chaud-froid."

Si le roman n'apporte pas grand chose en tant que tel, l'histoire parvient à intriguer suffisamment pour nous tenir en haleine et on se demande forcément comment cet enlèvement va se terminer.
Il faudra d'ailleurs attendre la fin, surprenante, pour connaître la signification de l'étrange couverture.

Mais quand on lit l'auteur ardennais, c'est avant tout pour se régaler de son style inimitable et de son humour si particulier.
Et il était tout particulièrement inspiré cette fois-ci !


Commenter  J’apprécie          372



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}