Futur.es : Comment le féminisme peut sauver le monde

Quand on chausse les lunettes du genre et qu'on voit soudain clair dans le fonctionnement sexiste de la société, cela bouleverse le cours d'une existence, ça modifie tout le rapport au monde.

Pourtant rien n'est plus lié que féminisme et écologie. Et si cette affirmation vous surprend, ce livre se donne pour mission de vous en convaincre.

Ce qu'on appelle la conquête du droit à l'IVG est en réalité une lutte contre l'interdiction de l'IVG.

Quand on commence à regarder le monde sous le prisme féministe, on finit forcément par en arriver là. Réfléchir au sexisme, ça amène en ligne droite à réfléchir au sort des malades, des migrant.es, des handicapé.es, de la nature, des animaux, de tout le vivant en somme. Si on se mettait vraiment, collectivement, à penser comme cela, à sortit de l'obsession de la liberté individuelle, pour caresser l'épiderme du monde d'un regard traversant et mobile? Alors on comprendrait que l'urgence est de sauver le vivant. Tout le vivant, toutes les vies humaines, mais aussi animales.

Dans quel état de guerre vivons-nous pour frôler les murs, baisser la tête, subir à longueur de vie la peur de rentrer, de sortir, de marcher, de flâner. Dans quel état de guerre vivons-nous pour nous barricades à tout âge, derrière trois verrous et un judas. Dans quel état de guerre vivons-nous pour voir en tout homme le violeur en puissance ( Annie Cohen, 1976).

Un regard féministe sur le monde, c'est caresser des yeux chaque grain d'un épiderme, capter les liaisons et les circulations, englober la planète d'un souffle. Et ce simple regard a la faculté colossale de résoudre la plupart des grands maux de l'humanité. Je vous écris en posant un regard féministe sur le monde que je vois se déployer à travers ma fenêtre, dans le but insensé de le sauver un peu.

Il va nous falloir apprendre à réparer plutôt qu'à punir. A travailler à nos apaisements plutôt que d'attendre qu'un illusoire tierce pouvoir ne vienne trancher de haut nos différends. Et nous montrerons l'exemple à l'humanité. Car l'humanité entière a besoin de réparation. Il faut réparer les saccages engendrés par la colonisation, il faut réparer les traumatismes causés par les violences sexuelles, et les violences de classe, il faut réparer les torts infligés depuis des décennies aux personnes LGBT. Et pour cela, il faudra un moment qu'on s'assoie au sol en cercle, sur un pied d'égalité, oppresseurs et oppressés. S'assoir au sol est la clé de la réparation des saccages.

"Le progrès", c'est-à-dire la science moderne, le productivisme, les nations, est en fait une montée vers toujours plus de sexisme, plus de racisme, plus de destruction de nos ressources naturelles. "Le progrès" a fait naître la colonisation, l'esclavage, le mariage, la guerre, des institutions qui détruisent et qui tuent.

Elles n'ont rien à faire dans ces institutions qui sentent la javel, nos grands-mères. Leur place est dans nos maisons près de nos enfants. Leurs mots devraient continuer à s'écouler dans nos oreilles, et nos mains devraient soigner leur corps vieillissants, comme les leurs ont souvent soigné nos corps d'enfant. Mais plus personne aujourd'hui, dans nos façons de vivre contemporaines, ne se sent "capable" de vivre avec des personnes en fin de vie. Enfin, soyons précis : dans nos façons de vivre bourgeoises et blanches contemporaines.

Les auteur-rices de délits ne sont plus considérés comme des personnes déviantes individuellement, mais comme les produits d'une destruction de leur tissu social qui les a menés vers la délinquance. Ainsi, les délits commis ne sont plus envisagés comme des fautes morales qui méritent d'être punies, mais comme les fruits d'un système qui doit être réparé en profondeur. Ce fonctionnement judiciaire, réclamé de longue date par les mouvements nationalistes autochtones (canadiens), est directement inspiré de ce qui se pratiquait sur leurs terres avant leur occupation. Dans ces cercles de justice traditionnels, on reconnaissait que l'agresseur s'était coupé de la société et, au lieu d'accentuer cet isolement, on essayait à l'inverse de rétablir le lien. L'objectif de la justice réparatrice est la lutte contre le démembrement de la communauté. Ce qui semble infiniment plus logique, plus tenable, que cette histoire d'exclusion, vous ne trouvez pas ?