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Critique de Alzie


Un album que j'aime particulièrement, sans doute pour des raisons d'ordre esthétique mais pas uniquement. Il est toujours possible d'imaginer une autre adaptation pour ces contes et nouvelles De Maupassant. On a ici une splendide création graphique où la transposition par le dessin de Dino Battaglia s'accorde complètement au style et à la substance écrite de ces oeuvres courtes de Maupassant. Fidélité recréatrice, qui respecte les textes originaux et restitue toute la folie hallucinée de ces huit récits de guerre de Maupassant, presque au-delà de ce que l'imagination peut suggérer.

Le contexte commun aux huit récits est la guerre de 1870 et le siège de Paris. L'invasion prussienne qui suit le désastre de Sedan, les désordres de la capitale et de la province leur servent de toile de fonds. Tout se cristallise entre l'occupant et l'occupé ; Battaglia retient des séquences de beuveries, de lâcheté ou de bravoure, de cruauté ; putains héroïques, patriotes désabusés, paysans madrés surgissent sous son trait expressif. Sa très grande liberté de composition et de mise en page trouve un écho retentissant avec les textes de Maupassant : alternance d'ellipses ou de raccourcis spectaculaires renforçant les effets de stupeur ou de saisissement comme dans "Mademoiselle Fifi"- (parue dans le Gil-Blas du 23 mars 1882), ou "Deux amis" (Gil-Blas du 5 février 1883), ou encore "Le Père Milon" (Le Gaulois du 22 mai 1883) et donnent à la lecture de ces histoires, même les plus brèves, un rythme et une intensité d'ensemble très forts. le dessin conserve un certain classicisme mais il est vif, incisif, à hauteur de l'écriture ; il saisit souvent les personnages, leurs visages ou leurs regards, en plan serrés ; l'angle retenu est plus ample pour les bourgs et les paysages de la campagne normande.

Le dessin qui offre de très beaux effets de contraste et use de bien des finesses dans l'utilisation de dégradés du gris. Il jaillit parfois au milieu d'immenses réserves blanches où s'enfoncent les uniformes noirs et les casques à pointes des vainqueurs, dont l'envie de déserter est au moins équivalente à celle de fanfaronner de la soldatesque française ("L'aventure de Walter Schnaffs" - "Le Gaulois du 11 avril 1883"). Un supplément de couleurs (apporté par Laura Battaglia) en touches légères, éparses, d'une gamme très atténuée, pastel, a été retenu pour "Boule de Suif" (Les Soirées de Médan, 1880) et quelques flamboiements sont réservés à "La Mère Sauvage" (Le Gaulois du 3 mars 1884).

L'atmosphère est parfaitement rendue. Certain aspect granuleux du rendu visuel fait penser à la lithographie, il y a comme un savant mélange de précision graphique et de flou hautement artistique, d'opacité parfois. La guerre répand entre les pages son lot banal de détonations meurtrières et de silences, de violences, de brutalités et d'horreurs qui s'infiltrent aussi entre l'alcool et le jambon ("Saint-Antoine" Gil-Blas du 3 avril 1883) car le ridicule et la farce sont tout aussi bien captés ("Un coup d'état" - Clair de Lune en 1884).

En BD, comme pour toutes les autres lectures, chacun se repère dans sa géographie intime délimitée par des territoires de prédilections et d'aventures secrètes. Tout cela finit souvent par former un petit panthéon bien à soi. Cet album de 2002, mais publié dans la revue italienne Linus en 1976-1977, figure en bonne place dans le mien, tant le plaisir de le relire est grand à chaque fois. L'écriture de Maupassant, maître de la nouvelle, magnifiée par un dessinateur au talent immense qui s'est illustré dans de nombreuses autres adaptations littéraires. Comme autrefois des graveurs interprétaient les peintres, les dessinateurs s'emparent aujourd'hui de la littérature à laquelle ils donnent une nouvelle visibilité. Du grand Battaglia, comme on dit dans ces cas-là.
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