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Critique de Creisifiction


Je me suis rendu compte récemment que la très riche littérature nord-américaine -dont je suis un fan aussi ardent qu'inconditionnel-, est également -excusez le pléonasme !- « riche de Richards » : Ford, Wright, Brautigan, Powers, Vaughan, Bausch...et j'en oublie peut-être d'autres qui joueraient aussi en toute première division littéraire aux Etats-Unis et au Canada anglophone.
Au fur et à mesure que j'approche l'oeuvre des « Richards », je découvre la plupart du temps avec délectation ce talent particulier que j'apprécie énormément chez les auteurs anglo-saxons contemporains (pas seulement chez les « Richard », chez tous les autres maîtres incontestés de cette littérature, les Roth, Harrison, Oates et compagnie...la liste serait longue !), à savoir le talent à doser savamment dans un récit, d'un côté les actions, la description de la réalité, de la vie ordinaire -la surface- et de l'autre les sentiments, les motivations profondes, la subjectivité et les zones d'ombre des personnages -le fond- en les imbriquant avec un art et un équilibre à mon sens uniques et remarquables. L'effet littéraire est ainsi produit par une narration qui sait rester sur cette crête « vivante », sans trop d'à priori esthétiques, sans trop de démonstrations, récit plutôt épique qu'idéologique...En tant que lecteur, je suis comblé à chaque fois que je découvre un auteur de cette veine, dont le style semble, permettez-moi l'expression, très « propre », incisif, un auteur qui me paraît « écrire », plutôt que « se regarder écrire » . Je pense ici, quand j'évoque le fait de « se regarder écrire », notamment à l'intention qu'on décèle parfois clairement chez un auteur, de faire du « beau » en écrivant ou de faire « passer un message », ceci de manière trop évidente, trop orientée, trop mise en avant par rapport à l'histoire elle-même, si honorable que ces intentions puissent par ailleurs se révéler sur le plan esthétique ou humain, moral ou éthique. Bref..

Pour reprendre néanmoins l'objet de ce billet, je dois avouer que, pour la première fois, j'aurai été à ce point déçu par un Richard! La lecture de « Avant et Après le Chute », de Richard Bausch, me laisse en effet une impression plus que mitigée. Pourtant, tous les éléments semblaient réunis ici pour étayer solidement le récit d'un drame aux dimensions à la fois individuelle et collective, aux accents autant psychologiques qu'épiques.

Sur fond des événements tragiques du 11 septembre, nous suivons l'histoire parallèle de l'ascension et de la chute vertigineuse d'un couple. du côté surface, le style m'a semblé plutôt plat, trop appliqué. L'auteur cherche à décrire le quotidien et les réactions de la société américaine, dans l'immédiateté, et juste après les attentats du 11 septembre : le désarroi, la sidération des américains, les images en boucle sur les écrans de télévision, la désorganisation du pays, notamment en ce qui concerne les transports et les communications, la peur ensuite d'autres attentats et le spectre d'une nouvelle guerre alors que « ground zero » fume encore ... Je suis néanmoins resté sur la réserve : quasiment tout m'a paru restitué de manière assez convenue, attendue, trop consensuelle et répétitive, telle qu'on a déjà appris, déjà entendu, vu et revu à de trop nombreuses occasions, par différents reportages, documents et récits de cet immense tragédie; de ce côté-là et d'un point de vue émotionnel, rien ne m'a touché ou surpris particulièrement en tant que lecteur. En somme, peu de puissance évocatrice et rien de spécialement nouveau ou d'original.
Mais le pire, ce qui m'a véritablement déçu se situe plutôt du côté des personnages et du « fond » de cette histoire de couple... Les choix existentiels de Natasha Barret et de Michael Faulk, leurs motivations et leurs croyances personnelles, que ce soit leur « coup de foudre » ou, au moment de la chute, leurs atermoiements et leurs souffrances, manquent aussi, à mon avis, cruellement de relief et de puissance empathique. Si je voulais résumer, en caricaturant bien-sûr, je dirais que les personnages centraux du livre passent des centaines de pages à boire de trop, et souvent à pleurer, du côté de la femme d'abord, essentiellement en raison d'un « non-dit » -dont le lecteur ne comprend pas après tout pourquoi (malgré le caractère violent et traumatique des événements liés au secret qu'elle garde pour elle), il lui semblerait à ce point impossible de confier quelque chose (dont en plus elle n'est pas tout à fait responsable mais plutôt victime), à quelqu'un qu'elle aime aussi profondément et qui aurait toute sa confiance ; de l'autre côté, ou faudrait-il plutôt dire, en face, un homme qui boit et qui souffre lui aussi, de plus en plus, à constater que ce même non-dit dont il soupçonne bien l'existence, provoque l'érosion progressive et tangible de leur relation de couple et de leur passion amoureuse, alors que le lecteur, lui, ne comprend guère non plus pourquoi, diable, cet homme n'arrêterait pas de tourner et tourner autour du pot, jusqu'au bout, sans pouvoir révéler clairement ce qu'il pense véritablement à la « femme de sa vie »... !
Vous me diriez peut-être, en vous faisant en même temps avocat de Richard Bausch, qu'enfin, pourquoi pas, tout est possible dans la vie réelle, n'est-ce pas que la vie, comme on dit, « imite souvent l'art » ?...ou alors que Richard Bausch aurait justement essayé de nous faire sentir à quel point les événements collectifs tragiques et traumatisants liés aux attentats du 11 septembre se seraient parfois répercutés de manière aussi dramatique et paradoxale sur le comportement des individus...
Ok ! Je serais parfaitement d'accord avec vous sur le principe, par contre, le seul hic, c'est que, en l'occurrence, hélas, l'alchimie entre la surface et le fond n'est pas réussie, ou en tout cas pas pour moi... !
Au Richard suivant !
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