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Critique de horline


Paul Beatty pratique l'humour à la mitraillette en plastique : Moi contre les États-Unis d'Amérique c'est une salve de vannes dignes d'un spectacle de stand-up, avec la culture, les stéréotypes, la condition des noirs américains comme moteur.
L'effet est instantané, on a l'impression de recevoir un coup de fouet dans la rétine lorsque l'auteur décoquille de manière irrévérencieuse les archétypes de l'identité raciale, déboulonne les droits civiques au point de permettre à son héros, fils d'un chercheur en sciences sociales qui s'est consacré à des études sur la conscience raciale, de rétablir l'esclavage et la ségrégation à l'école.

Ce n'est pas un récit halluciné pour autant. Derrière cet humour poussé jusqu'à l'absurde, l'auteur pointe l'incapacité d'échapper aux effets persistants de l'histoire. Ou comment en rétablissant l'esclavage et la ségrégation, le narrateur entend exploiter la continuité des inégalités raciales avec des modes de discrimination visibles. Au profit de la communauté, du quartier, véritable ghetto qui a été abandonné par les pouvoirs publics et les promoteurs au point de se voir littéralement effacé de la carte de Los Angeles.
Car derrière la lucidité amusée, il y a surtout la mélancolie pour un quartier qui s'est tellement réduit qu'il est voué à disparaître et ses habitants avec. On pourrait penser que la nostalgie est le romanesque même, elle adoucit le caractère ostensiblement provocateur de la logique appliquée de manière imperturbable. Et elle se voit rehaussée par la formidable critique sociale de Los Angeles, le narrateur dressant un panorama de la ville dans laquelle seul le surf semble offrir au jeune homme une alternative aux frontières qui quadrillent le territoire.

Mais à force de déconstruire, le roman semble aller nulle part. Si la prose tonique et truffée de références a la vertu de donner une dimension nouvelle, peut-être plus à même de faire réfléchir le lecteur ou la lectrice sur l'héritage de l'esclavage aux États-Unis, elle a paradoxalement un effet anesthésiant. Paul Beatty applique tous les codes du stand-up avec un roman qui ne repose pas sur une intrigue mais sur des thèmes et des personnages. Les formules assassines exercent un pouvoir indéniable mais à mesure que le récit progresse, l'humour devient un obstacle à l'évolution du récit, la mécanique s'épuise. Et le tempérament nonchalant voire apathique du héros qui semble assumer sa vie comme une perpétuelle inconsistance à laquelle sa nouvelle mission ne donne guère de sens, ne fournit pas l'élan nécessaire aux idées déployées dans ce roman.

Même si j'ai été séduite par l'esthétique du bouquin et par la découverte de l'un des auteurs qui portent au plus haut une écriture affirmant ses références afro-américaines, j'ai progressivement été gagnée au fil des pages par la sensation d'un auteur dans l'incapacité de donner une orientation narrative à son roman. A moins que la volonté de Paul Beatty ait été d'envisager une aventure purement distrayante, un vrai moment de liberté sans entraves...
Malgré ses défauts, ce roman est riche d'enseignements et savoureux à lire.
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