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Critique de SZRAMOWO


Dans Berlin, se pose la question fondamentale que tout un chacun se pose lorsqu'il visite la ville loin des images touristiques convenues :
« JADIS, ET CELA PEUT TRÈS BIEN SE REPRODUIRE DEMAIN, LÀ OÙ VOUS VOUS TROUVEZ, QUELQUE CHOSE S'EST PASSÉ. QUOI QU'IL SE SOIT PASSÉ, IL Y A EU AU MOINS UNE PERSONNE QUI N'EN A PAS EU RIEN À FOUTRE, ET AU MOINS UNE PERSONNE QUI EN A RIEN EU À FOUTRE. LAQUELLE AURIEZ-VOUS ÉTÉ ? LAQUELLE SEREZ-VOUS ? »
Le narrateur de Paul Beatty, un jeune afro-américain surnommé Ferguson Sowel, passe en revue, dans un délire parfois féroce, alors qu'il est allongé sur un banc de bronzage dans un solarium de Berlin, les images et les préjugés qui fondent notre pseudo jugement, notre lien avec la réalité et notre relation à autrui.
La culture noire, les juifs, les femmes, les banquiers, les managers, les ouvriers, les flics, toutes ces icones que nous portons en nous, réceptacles de notre empathie, de notre colère, de notre dégout, voire de notre haine (et on sait quel résultat cela peut donner), sont là, dans le Berlin de la Chute du Mur qui cristallise « la fin des idéologies », comme les chroniqueurs ont coutume d'écrire, mais pour le héros, le début des désillusions.
La chute du mur est-elle le résultat de la volonté du peuple ou, comme l'affirmerait Albert Einstein, dansaient-ils « tous au son d'une musique mystérieuse, jouée à distance par un flûtiste invisible. » ?
Qu'ont gagné les Allemands de l'Est à passer à l'Ouest, une domination contre une autre, celle visible et brutal d'une dictature d'un autre âge contre celle plus douce, invisible mais insidieuse de l'argent roi ?
Et Ferguson de rajouter : « Comme le Congo belge de Conrad, l'Allemagne des premiers jours de la réunification fut un pays à l'éclairage obscur et où l'obscurité était plus obscure encore. »
« L'Allemagne changeait. L'après-chute du Mur m'évoquait la période de la reconstruction de l'histoire américaine, avec ses scallywags, ses carpetbaggers, ses foules réclamant les lynchages, et ceux qui se faisaient misérablement lyncher. »
« Les comédiens qui, avant la chute du Mur, avaient supplié et imploré pour jouer des rôles de Juifs aux abois dans de petits films indépendants rêvaient à présent d'incarner des nazis incompris dans des films à gros budgets. »
L'Ouest n'est pas tendre pour les Ossies :
« Q. : Pourquoi les policiers est-allemands se déplacent-ils par groupes de trois ?
R. : Un pour lire, un pour écrire, et un pour avoir à l'oeil les deux intellos. »
Ferguson est venu à Berlin à la recherche de Charles Stones, le Schwa, un mystérieux musicien qui faisait partie du grand orchestre de Buddy Rich dans les années 1950.
Quand il joue, le public n'applaudit pas à la fin de ses concerts :
« Applaudir n'eût pas été un signe d'appréciation suffisant. Les gens appelèrent leurs avocats et le mirent dans leur testament. Un diplomate sud-africain l'approcha pour qu'il se présente aux prochaines élections contre Nelson Mandela. Une veuve de Wilmersdorf lui donna la recette secrète de la choucroute alsacienne qu'elle tenait de sa mère. »
La musique est un refuge et un moyen d'action. Ferguson écoute Sun Ra, Undertones, Coleman Hawkins, Joy Division, van Morrisson, Lee Morgan, mais compose et diffuse sur le Juke-Box du Slumberland des compositions dont les clients pensent :
« C'est trop bon, vraiment. Comme une prune tellement sucrée que tu ne peux pas la manger parce qu'elle fait battre ton coeur trop vite et du coup tu finis par la balancer. »
Son séjour à Berlin ne lui fait pas oublier qui il est, « Pour le Nègre, ce jour d'hui comme hier est jour nègre. » :
« Je songe qu'un jour une sonnerie retentira, ces gens se lèveront tous comme un seul homme en un claquement de talons, poussant un belliqueux « Jawohl ! », et m'ordonneront de monter dans le prochain train. Je sais qu'une telle sonnerie peut retentir dans n'importe quel pays, à n'importe quel moment. Et que certains se lèveront en toute bonne foi, que d'autres se lèveront par peur, et que quelques-uns sortiront grandis de cette épreuve en n'obéissant pas, ils hébergeront leurs semblables, distribueront des tracts, mourront en tentant quelque chose. Mais quand même. »
Un roman salutaire, à lire, pour désenvaser nos circonvolutions cérébrales des alluvions que les Spin Doctors politiques, médiatiques, sociaux, et de tout autre acabit, y déversent au quotidien.


Lien : https://camalonga.wordpress...
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