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Citations sur Avant le silence des forêts (31)

Nous bataillons pour un bout de paysage déserté, dans un bois loin des collines de vignes pillées, sans autre motif que d'épuiser une armée contre une autre, c'est le but de notre présence ici, sans limites au prix de nos vies. Nous traînons les cervelles sous nos semelles.
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La tristesse ne niche avec le désespoir, roulé sur lui-même, et nous l'amadouons en silence, couchés côte à côte, hébétés dans les nuits où l'étoile du berger est de plus en plus difficile à repérer.
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Immobiles, les mains de Gretel, sur la table noire pleine d'objets renversés et de boîtes ouvertes. Elle reste occupée par les premières beautés de l'enfant qui, de lui à elle, ont fait sourire, dans tant de matins de pauvreté. Elle passe le doigt sur les écritures des mots d'enfance, baptisés poèmes, et entend les baisers claquant vifs sur les joues fermes, les efforts joyeux à pédaler sur la vieille bicyclette bleue résistant à tous les trous des chemins.
Comme toutes les mères, Gretel fouille dans le passé et ramasse, un à un, les apprentissages tremblotants des rengaines, les sermons trop longs, quand le fils tirait la main pour aller voir les statues de la balustrade. Et les bâillements d'attente des gâteaux dans la cuisine bouleversée par le désir de bonheur. Depuis quarante jours de deuil déjà, elle sait que cela va être ainsi : la souffrance à relever chaque matin avec la petite Vierge de la chapelle qui ne lui donne pas de réponse.
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J'aime regarder nos mains, elles sont des collections. Elles ont tant fait et satisfait tant de tâches, il y en de si belles, abîmées et puissantes, des petites qui n'ont jamais cessé de s'appliquer, des peaux sur lesquelles sont inscrites tant de choses et des nervosités de doigts ou des crispations qui les tordent. Et des mains toujours ouvertes pour tempérer le pire, les ongles massacrés contre d'autres rafistolés tant bien que mal pour le retour à la maison. (...)
Des mains d'artisan perdent ici leur art, et des mains de vieillard se cachent dans la fatigue à tout faire. Des mains de bûcheron, de maçon, de fossoyeur se perfectionnent, d'autres cherchent encore de quoi elles sont capables. Des mains n'ont jamais cédé, d'autres ont commis l'irréparable puis consolé et apaisé. Toutes ont tout fait, dans le pire et le moins terrible, toutes cherchent le mieux pour pouvoir être regardées avec un regard plus fier : je les dépose dans ma mémoire.
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Drapés de froid, mordus de faim, bourrés de mauvaise soupe, oubliés de tous, paupières déjà scellées, à l'instant de l'ordre crié encore et encore, nous atteindrons le haut de la tranchée, avec moins de conscience de nous-mêmes. Héritiers des guerres des temps d'avant, tuer, se laisser tuer est devenu notre besogne. Les lendemains, les reflets de cristal, les contentements du destin ? Non : la fange, l'évidence de l'enfer.
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La sottise de notre temps est ici, on nous a laissé grandir pour cela, dans cette impiété : l'oubli que les guerres sont des péchés.
Nous avons feuilleté les livres d'histoire, le royaume a été encensé, des mains ont applaudi, beaucoup ont cru aux festins et aux nouvelles frontières dans cette aventure à mener vite et bien. Les drapeaux claquent sur les rêves de grandeur, le sol fait des mouvements terribles : ce sont les pas silencieux des fils tombés, venus près des pères chercher des explications qu'ils n'obtiendront pas.
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Tob savait qu'il serait bientôt abattu, il a couru, l'élan vers le point du jour avec la claque des draps mouillés sur le visage au bout du chemin quand, à entrer à la maison, les enfants prennent les raccourcis des pentes du jardin. Le soldat parmi les soldats, rien de moins que les autres.
Lotte, sa promise, l'a-t-elle vu, alors qu'il disparaissait dans le claquement du coup de feu ? Peut-être, là-bas, a-t-elle regardé au fond de l'eau du grand lavoir, son visage autrefois gai, et facétieux beaucoup. Lotte s'est endormie, un bracelet d'herbes à son poignet, la pluie glisse contre le volet, et la fenêtre se gonfle sous le vent.
Quand les balles ont touché Tob, il avait un cantique dans la tête, un air d'avant l'oubli, et il cherchait le moment le plus heureux de sa vie, mais l'instant se déplaçait sans cesse, ou il y en avait tant, ou, finalement, il n'y en avait pas. Comment savoir ? Le bonheur comme un flacon de sucre, qui laisse une impression de soif...
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Les survivants, il y en aura, nous y songeons en cachette. Ils regarderont ici,voyant mieux ce qui s'est déroulé que le visage doux de leur femme penché pour donner la soupe. Les survivants seront à jamais perdus pour leurs champs et leurs ateliers sans travail, ces décors dressés contre la vision jamais effacée des tranchées, infestant toujours leur narine.
Pour eux la jolie verrière de la maison croulera sous le ciel tourmenté seulement par le plus clair de son bleu et traversé de laine effilochée.
Voilà ce qu'ils verront, voilà ce qu'ils ne comprendront plus : la vie revenue, le labour frais, la saison nouvelle, la mesure du pied posé sur le sillon droit. Et ils auront les voix sans voix, les regards sans pupilles, le cuir noir des peaux et les trous pleins de croix de travers pour réponse à l'amitié de penser aux disparus.
Les survivants attendront dans le fauteuil, promis à trente ans d'agonie lente, les poumons étranglés, et chaque nuit ils rêveront d'un souffle, entier et sans douleur, une seule fois, ne serait-ce que pour en mourir, libérés enfin de cette prolongation des supplices.
Mais nous cessons d'y penser, car le noir s'évanouit dans la blancheur non voulue du matin et le ciel s'effondre sur nos nuques.
Nous attendons les ordres.
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Si le ceinturon reste à terre, si le couteau cache son reflet au fond d'un pli de vareuse, si à se tuer on fait de malins évitements, comment, sans pleurer, se rappeler le grand-père qui vous retenait, enfant, de vous cogner au rebord de la cheminée quand vous apportiez la bûche trop lourde pour vos cinq ans ?
Les vagues idées de bonheur gisent dans le vent qui les emporte pour des générations plus chanceuses, mais le vent hésite tant notre passage sur terre lui importe encore, quelques secondes.
La faux et le tranchant, le panier sans anse, celui que personne ne voulait jeter, le flacon d'alcool ébréché que l'aïeul emportait aux champs : cela est encore en nous, plus que l'hostie levée dans la chapelle de fortune, avant que l'ordre soit donné de marcher vers le camp d'en face.
Rien de bien grave dans tout cela, même si l'enfant s'échappera de nous au moment où la balle frappera.
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Rodolf Fenster et les grandes ailes de la terre levée : c'est l'heure confondue avec le midi, éclairant les espaces préférés de sa mémoire agenouillée et distraite de la douleur, un éclat d'obus l'a frappé.
Il récite les paroles de son oncle, quand, à son départ, celui-ci l'avait timidement caressé, du front au menton, pour tracer son portrait de jeune homme, avec la matière de la peau et de l'ossature, pour le graver et le garder, de peur que, trop tôt, il ne reste plus rien.
Lui et son cousin étaient partis, sûrs de ne pas revenir. Je tiens la main de Rodolf et prends en moi les paroles qu'il répète, n'osant bouger, ne sachant où aller. "Petit, mon petit, guten Abend, gute Nacht, schlupf unter dei Deck : Glisse sous l'édredon demain matin, si Dieu veut, tu seras à nouveau éveillé."
Il est atteint au ventre, j'égrène le nom des apôtres sculptés sur la cheminée et tente de retrouver le violet des bruyères apportées pour la promise. Il ébauche un sourire pour montrer comment souriait Elli quand elle repliait les serviettes défaites après le repas de fiançailles qu'aucune noce ne suivra désormais. Je lui dépeins un carreau de sa chambre et son reflet, fragile comme le souvenir des chants dans le grand rassemblement des hommes après la récolte des blés. Rodolf est sans haine, sa tête ploie sur le côté, le jour festonne les pointes de ses cils. La beauté, rare ici, tente une ultime incursion.
Elle pleurera sans jamais laisser reposer ses yeux et toujours le regret lui barrera la route quand, au carrefour des chemins de campagne, elle cherchera où dissiper le souvenir de ce beau garçon. Elle en aura oublié le baiser qu'elle n'a pas donné sur le parterre devant l'église, quand elle avait craint que sa coiffure serrée dans un filet d'or en fût dérangée.
Maintenant les mains de Rodolf empoignent le vide, les jointures blanchissent et, d'un coup, la vie se rend.
Rodolf est pareil à Fritz son cousin et Hans son voisin. Il meurt comme il le peut, et pour lui, je ne peux rien, seulement dire que je le rejoins très vite.
Je sens que l'on me ramène en arrière. Un moment encore et j'aurais tenu la main de tous les autres, dans les bibliothèques inconnues où l'on inscrit les noms des morts. Qu'on me laisse réciter les couleurs des choses que ces grands bouleversements m'empêchent de bien saisir. Le désir, laissez-moi le sculpter comme une belle médaille, et que je compose ma vie, rien que pour une nuit, avec la rectitude inflexible des grandes lignes que l'on avait tracées quand nous rêvions ensemble, Otto, Nathan, Heinrich et moi.
Dormir puis mourir.
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