Citations sur Espérer (22)
Au fond, tout est une affaire de volonté. On peut choisir de regarder le monde avec émerveillement, avec ce souhait absolu de voir ce qu il y a en lui de plus beau ; ou on peut au contraire, au milieu de la plus extrême richesse, se trouver parfaitement déprimé, et se plaindre de la vacuité de toute chose. Il y a là un choix à faire.
«Il y a plus de volonté qu on ne le croit dans le bonheur», dit Alain.
Parce qu au fond, si nous voulons bien y regarder, le bonheur ne se trouve pas dans ce que nous ne possédons pas encore, mais seulement dans le regard que nous portons sur ce qui se trouve dans nos mains.
Le bourgeon explose à son tour, et la fleur éclôt au soleil. Il faut que le bourgeon explose pour que la fleur jaillisse, bien sûr. Vous ne pouvez pas imaginer que la fleur conserve chacun des états antérieurs. La fleur ne peut pas rester une graine, elle ne peut pas rester un bourgeon, sans quoi il n’y aurait pas de fleur du tout. Qu'est-ce donc qu une plante ? Eh bien, c'est une histoire, c'est un processus, c'est un progrès. Mais ce progrès est destructeur autant qu'il est créateur. Et pour qu’il soit créateur, il faut qu il soit destructeur.
Voilà peut-être ce qu on appelle, ce qu'on devrait appeler, le miracle de la politique. On ne peut pas rêver d'un monde sans violence. On ne peut que tenter de construire un monde qui nous préserve de notre propre violence, en construisant contre elle l'autre de la violence, c'est-à-dire l'expérience politique. Et voilà une piste vers la réponse qui pourrait nous permettre de vivre ce grand rêve dont nous devons continuer, j en suis sûr, d’être habités. Quant à savoir si ce rêve se réalisera, cela, chers amis de la vérité, c'est encore une autre question...
Et c'est la raison pour laquelle le désir, nécessairement, produit de la violence. C'est la raison pour laquelle la société, nécessairement, est travaillée de violence ; le «vivre ensemble» est décrit comme une valeur suprême, mais il n'y a rien de plus épouvantable que le vivre ensemble !
Nous en parlons comme si c'était une promesse de paix et de bonheur. Mais le vivre ensemble, c’est l'enfer ! Il faut rompre avec l'illusion romantique, ne plus rêver d'un monde sans violence. Vivre avec les autres, c'est nécessairement le début de tous les ennuis, parce que c'est désirer ensemble exactement la même chose et passer notre temps à combattre pour obtenir précisément ce que l'autre désire.
Celui qui dit qu’il est trop tôt ou trop tard pour phllosopher, dit en substance qu’il est trop tôt ou trop tard pour être heureux. Or il n’est jamais ni trop tôt ni trop tard pour être heureux. Le moment pour être heureux, c'est maintenant. Le moment pour cultiver cet amour du réel, pour cultiver les joies simples de la vie, pour épargner à notre âme les troubles qu'elle traverse et pour devenir « tranquille comme un ancien en face de l’avenir», ce moment, c'est maintenant. D’où l’invitation d’Horace :
«Carpe diem!»
Cueille le jour ! Cette invitation que l’on a inscrite sur tant de cadrans solaires, sur tant de moyens de mesure du temps signifie que le temps passe, et qu’il faut saisir le présent. Qu’est-ce qu on attend pour être heureux ? C'est maintenant qu’il faut choisir le bonheur.
Alors, plutôt que d’espérer toujours plus, de vouloir toujours autre chose, de regarder toujours les autres, ne pourrions-nous pas simplement considérer ce que nous sommes, ce que nous avons aujourd'hui, ce que nous avons reçu, et que nous avons la chance de pouvoir cultiver ? Et si après tout le bonheur était là ?
Il faudrait seulement, comme le dit une formule attribuée à saint Augustin, non pas désirer ce que nous ne possédons pas encore, mais réapprendre à désirer ce que nous possédons déjà.
Espérance et optimisme (…) Il arrive souvent que les deux termes soient confondus ; rien pourtant n’est plus opposé, au point que ces deux attitudes existentielles sont en fait incompatibles l'une avec l'autre. Dans un article de 1942, publié plus tard dans les Essais et écrits de combat, Georges Bernanos dénonçait cette confusion :
«Je sais bien qu’il y a parmi vous des gens de très bonne foi, qui confondent l'espoir et l’optlmisme. L’optimisme est un ersatz de l'espérance, dont la propagande officielle se réserve le monopole. Il approuve tout, il subit tout, il croit tout, c’est par excellence la vertu du contribuable. Lorsque le fisc l’a dépouillé même de sa chemise, le contribuable optimiste s’abonne à une revue nudlste et déclare qu’il se promène ainsi par hygiène, qu’il ne s’est jamais mieux porté. »
Ce avec quoi nous devons rompre définitivement, c’est l’illusion d’un progrès qui s’accomplirait nécessairement dans l’histoire, à travers toutes les nouveautés, à travers tous les changements, à travers tout ce qui vient apporter quelque chose d’inédit dans notre existence collective, comme dans nos vies personnelles. Il n’y a pas de progrès en soi.
L’utilisation de la violence est donc le signe d’une faillite du pouvoir. Et ceci est vrai, d’ailleurs, non seulement de l’ordre politique en tant que tel, mais également de toutes les petites sociétés qui entourent nos existences, de tous les groupes humains – d’une entreprise, d’une association, d’une famille. La violence est toujours le signe d’un échec du pouvoir. Et lorsque celui qui dirige a besoin de la brutalité, c’est qu’il n’a pas su exercer l’autorité. Il n’y a rien à voir entre ces deux ordres. Il y a même une relation d’antinomie entre eux. Il n’y a dans la violence qu’une insuffisance de pouvoir.
Si gagner la guerre devient la seule finalité, alors on observera ce que Clausewitz s’inquiétait de repérer dans l’évolution de la guerre, et qu’il appelait le risque de la « montée aux extrêmes ». Quand la guerre n’obéit plus à une finalité politique mais qu’elle devient un but en soi, quand la violence n’est plus un moyen de la politique, mais que gagner la guerre devient le but politique, quand toute la politique s’organise autour de l’effort de guerre, alors la guerre engendre cette « montée aux extrêmes ».