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Critique de LucianaMortisol


Dans un essai, dans une recherche sur les fondements  d'un problème, ce qui me gêne toujours, c'est le fait de tout attribuer à une seule cause, qui devient le facteur unique d'interprétation. Toute entreprise d'explication par un seul facteur omniprésent me met d'emblée mal à l'aise. Je trouve ce comportement au mieux réducteur, au pire malhonnête. Pour François-Xavier Bellamy, la difficulté scolaire, l'individualisme, le manque de respect, l'ennui, la violence... tous ces maux perceptibles dans la jeunesse d'aujourd'hui, ont une cause essentielle, le renoncement à la transmission de la culture, si bien qu'en rétablissant cette transmission, tout  irait mieux.
C'est faire fi de tant d'autres facteurs.... Tout faire reposer sur la culture conduit à ne pas prendre en considération les autres évolutions, qui sont pourtant énormes. Si les jeunes sont individualistes, la société de la concurrence, de la consommation, du recul des solidarités.... n'en est-elle pas la première cause ? S'il y a plus de difficulté scolaire qu'autrefois, n'est-ce pas d'abord et avant tout parce que les jeunes scolarisés sont devenus l'ensemble de la population scolaire, et non plus seulement la minorité qui restait à l'école après la primaire ? Si la transmission culturelle fonctionnait, c'est aussi parce que les enfants et leurs parents croyaient globalement, et avec raison, que se soumettre à l'autorité de l'école leur assurerait une meilleure place dans la société, ce qui n'est plus le cas...
Quand on compare le passé et le présent, il faut d'abord se demander si on compare bien ce qui est comparable. Pour le sujet qui préoccupe l'auteur, la première question à se poser devrait concerner les différences entre le passé et le présent, ce qu'il ne fait pas. Les élèves d'aujourd'hui ne sont pas ceux du passé, ils sont sans cesse sollicités par bien d'autres sources de culture que l'école, par bien d'autres types de culture que celle de l'école, par bien d'autres accès à l'information et au savoir. Ils ne sont donc pas enclins à se laisser enfermer dans un apprentissage guidé par une instance unique. En fait, à cause de cette évolution, ce dont ils ont désormais puissamment besoin, c'est de savoir s'y retrouver dans la multiplicité des sources et des domaines de connaissance, savoir choisir et classer les savoirs bien plus que simplement les assimiler. Limiter leur apprentissage aux fondamentaux de l'école traditionnelle n'est tout simplement plus possible. le recul de la transmission n'est pas dû à un renoncement de l'école et des parents, il est lié à de nouvelles conditions d'accession à la culture qui exigent d'autres moyens que la simple transmission. Il est effectivement devenu urgent que les jeunes apprennent à s'y retrouver eux-mêmes, d'où la difficile mais nécessaire recherche d'autres voies pour l'apprentissage. Et ces nouvelles voies que stigmatise l'auteur sont en fait des recherches nécessaires, même si elles ne donnent pas toujours les résultats escomptés. Enfin, dire que les jeunes sont moins cultivés qu'autrefois, c'est avoir une conception réductrice de la culture. Les jeunes souvent savent bien plus de choses que leurs aînés, dans des domaines passionnants, par exemple dans les sciences et techniques, dans les langues étrangères...
Dans sa volonté de cerner ce grand mal qu'est le refus de la culture, l'auteur en donne à ce mal une origine qui me laisse sceptique. Descartes en fait  n'a jamais condamné l'éducation première reçue à l'école, il n'a jamais écrit contre l'institution scolaire de son époque, il n'a fait reposer son doute philosophique que sur la deuxième étape de l'accès au savoir, celle de l'adulte qui, fort de ce qu'il a appris, peut le mettre en cause dans une démarche radicale  qui ne peut être que celle de l'individu déjà instruit. Sa quête philosophique ne remet donc pas en cause la transmission initiale, mais s'interroge sur ce qu'on peut et doit faire au terme de cet apprentissage initial. Et que dire de l'importance donnée à trois penseurs qui seraient responsables de l'évolution ? C'est leur donner bien du pouvoir... La pensée de quelques intellectuels peut-elle avoir autant de force en elle-même ? Il me semble que ce sont en fait les évolutions historiques, sociales, et les évolutions des moeurs, qui font qu'à un moment donné les thèses d'un auteur deviennent à la mode et sont prises en considération. Les thèses de Rousseau sur l'éducation sont restées longtemps sans aucunes influence sur les politiques pédagogiques.....
Pour toutes ces raisons, je ne peux pas adhérer à la thèse défendue par l'auteur, je ne trouve pas d'intérêt à sa critique globale, je la trouve même dangereuse à force d'être réductrice.
En revanche, j'ai beaucoup aimé certains passages qui, si je ne les rapporte pas à l'indigence de la thèse globale, m'ont paru très intéressants et stimulants pour l'esprit. Il s'agit essentiellement de tout ce qui  concerne la passion pour la culture. Quand par exemple il parle de l'intérêt d'apprendre par coeur des poèmes pour qu'ils deviennent part de nous-mêmes, je suis d'accord avec cette dimension inégalable du par-coeur. Quand il décrit ce que nous apporte la connaissance comme relation à soi-même et aux autres, certains de ses développements m'émeuvent et me stimulent. Oui, la culture est un trésor, il est bon de le rappeler, même si la défense de ce trésor est beaucoup plus complexe que ce qu'en dit l'auteur.
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