Je m'appliquais; je tendais que mon trait devienne une ligne juste, suggérant tout ensemble le relief, le volume et, si possible, la matière. Qu'il saisisse comme un souple mouvement la réalité.
Ma vision reste nette _ mais toute couleur a disparu. Un seul ton gris - du noir épais au blanc incertain - s'étale sous mes yeux. mes pansements, la chair de mes mains, les courtines, les géraniums aux fenêtre, le canal où se reflètent le ciel et les saules, tout est absolument sale- et gris, comme un manuscrit défraichi.
Pour le peu qui me reste à vivre, la beauté m'est aussi nécessaire que l'eau fraîche en été, et la soupe en hiver.
Mon horizon visuel s'élargissant, du coup, la théorie du monde m'occupa. Spiritualia sub metaphoris corporalium: les choses, les évènements sont les métaphores sensibles de réalités spirituelles, signes d'une vérité immatérielle. ma mission était d'imiter la nature pour glorifier la Création; de sorte que le miroir parfait de la réalité en éclaire la dimension métaphysique.
Ne plus jamais peindre! jamais! ö la puissance de ce jamais! Plus jamais cette jubilation amoureuse de la palette! Plus jamais, cette caresse du pinceau, glacis après glacis, nuance après nuance....Fini, ce souci de la lumière....joyaux, armures, draperies.... Muet le mystère du monde...infinis, lancinants regrets... Exilé de mes œuvres! Maudit destin!