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Critique de fuji


fuji
07 novembre 2022
Vaudeville sauvage
La lecture des premières pages m'a mis en tête la chanson de Jacques Brel Les Remparts de Varsovie, et je l'entendais :
« Madame promène son cul sur les remparts de Varsovie
Madame promène son coeur sur les ringards de sa folie
Madame promène son ombre sur les grand-places de l'Italie
Je trouve que Madame vit sa vie… »
Un air obsédant, sur un rythme similaire au déroulement de ce roman.
D'emblée le lecteur est happé dans cette intrigue tendue à l'extrême.
Car l'histoire est extrême. Madame a, à son service, Max un ancien légionnaire, une rencontre de hasard qui s'est transformée. Elle est devenue son pygmalion et lui, par sa présence, comble une solitude abyssale.
Madame a eu une envie : chasser l'homme. Une vraie chasse où le gros gibier sera remplacé par un être humain. Max pense à Skender, légionnaire qui a été sous ses ordres et qui a dévissé jusqu'à la clochardisation.
« Les deux êtres qui m'ont été les plus proches s'éloignent inexorablement, comme s'ils étaient sur un radeau emporté par un courant contre lequel je ne peux rien. Je les ai menés l'un vers l'autre comme je les aurais menés à l'autel. Ils s'appartiennent maintenant, leurs destins sont liés. Je ne suis plus dans leur monde. Ils me font confiance pourtant, une confiance totale. Ils ont raison, ma loyauté à leur égard a toujours été absolue. Elle l'est encore, elle le sera jusqu'à la fin. Il le faut car je serai juge, le garant principal du respect des règles, l'arbitre de leur folie. »
Le lecteur va vivre cette préparation sur plusieurs mois, en immersion, car il la vivra dans ses moindres détails et cela chez chacun des protagonistes et avec comme miroir ceux qui seraient touchés par ricochet, notamment la femme et les enfants de Skender.
Les mots se transforment en voix, en points de vue différents.
Mais c'est une interrogation en profondeur qui se dégage, une réflexion sur la vie et sa valeur.
Ces trois personnages sont des « décalés » de la vie. Madame, qui paraissait une riche veuve écervelée se révèle très différente de cette image. Max lui est amoureux d'un monde qu'il n'avait jamais connu, celui de la culture.
Skender est un fracassé, prêt à tout pour mettre ses enfants et sa femme à l'abri du besoin, leur offrir une vie décente et plus encore. Il oublierait presque que c'est de lui dont ils ont besoin.
Il n'est pas possible de divulgâcher l'histoire car toute l'écriture est tendue dans le but de faire vivre aux lecteurs, les transformations, et les émotions qui se dégagent de chaque parcours individuel.
Chacun va muter et révéler ce qu'il y a de puissant à transcender les conditionnements d'une vie.
L'écriture est puissante, inattendue pour un premier roman, même si l'on sait que Lucas Belvaux a un parcours artistique.
Il nous interroge en permanence sur nos renoncements, nos déchirements, nos capacité à faire sauter nos carcans, nos liens avec l'Humanité.
Finalement l'auteur nous fait entendre un chant comme un chant du loup qui par sa sauvagerie nous fait frissonner et par sa beauté nous fait prendre conscience du prix d'une vie.
C'est dense et c'est aussi une danse du noir vers la lumière.
Une belle maîtrise pour vous parler de la vie.
La psychologie des personnages a été travaillée en profondeur, qui rend ce huis-clos étouffant, implacable et fascinant.
C'est tellement précis et maîtrisé que notre souffle est coupé, notre coeur palpite en accéléré.
Un réel talent littéraire à savourer.
©Chantal Lafon


Lien : https://jai2motsavousdire.wo..
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