La Maison aux lilas

Elle était probablement l'enfant d'un viol, et son véritable père était un irresponsable, deux réalités qui auraient suffi à choquer n'importe qui. Marcel Hudon avait la certitude qu'il avait par son inconséquence fait voler en éclats la nouvelle joie de vivre de sa nièce. Elle était encore trop fragile pour affronter la vérité, et il ne l'avait pas compris.

Gérard avait fait voir qu'il n'aimait pas l'école. Il excellait à distraire et à faire rire les autres par ses pitreries, à s'attirer les punitions et à intimider les plus jeunes par ses manières brutales.

Le destin ne déposait sur sa route que des êtres de qui elle se sentait appréciée et aimée. Elle aussi les aimait et ils lui devenaient précieux et attachants.

Elle possédait de l'intuition pour mettre en valeur la beauté d'un objet, aussi simple fût-il, et prenait maintenant comme un défi artistique d'ajouter sa couleur à sa vie et à sa demeure.

La beauté embellit la vie, fait sourire le cœur et nourrit l'âme.

. La liberté qu'elle goûtait restait fragile. Elle la craignait, persuadée de ne pas avoir les ressources nécessaires pour prendre son envol. Depuis qu'elle avait abordé sa vie d'adulte, elle était demeurée sous l'influence de sa mère. Jamais elle n'avait songé à partir de la maison pour se libérer de son joug. Et la réaction de sa mère lorsqu'elle s'était hasardée à lui exprimer sa volonté de travailler l'avait tellement assommée que cela lui avait coupé les ailes.

En envisageant d'aller travailler, elle avait souhaité disposer de quelques sous. Elle avait pensé payer une pension ou partager les frais du logis, et jouir du reste de ses gains. Même les prisonniers ont de l'argent pour s'acheter des cigarettes ou des revues. Lucie n'avait même pas ce minimum.

Sa vie, elle était réduite à des tâches domestiques, ponctuées de prières, de bondieuseries et de sacrifices.
Une vie où la solitude devenait pesante et où le plaisir, la spontanéité et l'enthousiasme n'avaient aucune place. Une vie morne et austère, un cul-de-sac.

Elle avait longuement préparé ce discours. Elle parlait comme on récite une leçon apprise par cœur, sans s'interrompre de peur qu'un trou de mémoire n'efface tout. Elle demeurait concentrée sur sa déclamation, sans prêter attention à son interlocutrice. Quand elle avait eu terminé sa tirade, elle avait vu le visage de sa mère rouge, prêt à éclater, avec des yeux où luisait une colère à faire peur. Elle s'était rendu compte qu'elle venait de faire une sottise monumentale.

Même en pleine adolescence, jamais elle ne s'était opposée à l'autorité. Elle croyait tout ce que disait sa mère parce qu'elle avait appris que les adultes ont toujours raison et détiennent la vérité.