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Critique de jubilation


Avez-vous déjà lû un livre qui, sur le sujet dérangeant de la solitude et des névroses qui en découlent (. . mais je vous sens déjà habité par l'horreur ou la réticence,et c'est bien naturel..), réussit ce véritable tour de force d'écrire un récit sur le mode d'une comédie chantante, !! très légère et fluide, un peu à la façon d'Alain Resnais, ou bien sur le mode d'un film muet mais ô combien parlant, quand il s'agit de ces plans séquence où cet homme pathétique et fébrile,en la personne de Charlie Chaplin, dans sa quête de nouvelles rencontres, ne cesse de prendre des coups en pleine figure, multiplie les maladresses et dévoile ainsi ses failles et ses fragilités !!
Laissez donc tomber vos réticences ! Place au sourire et à la fantaisie !
Vous avez eu ce vif désir bien légitime de vous écarter d'une lecture dont vous pensez immédiatement qu'à vouloir ainsi faire une effraction dans ce monde ultra sensible de la solitude et de la difficulté de l'altérité, Benatar va vous livrer un roman de plus, nécessairement sombre, lourd et ennuyeux .
Détrompez-vous ! "C'est du petit lait" !! Ce sont là les trois mots que l'ami Jacques m'a susurrés à l'oreille, pour me recommander discrètement , mais très habilement ce livre totalement A-TYPIQUE !! Je l'ai savouré dès la première page, sans pouvoir le lâcher, tournant les pages avec avidité, avec gourmandise..
Mais alors, maintenant que je l'ai entièrement dégusté, quelle est donc la recette de l'auteur, qui réussit ainsi à vous happer dès la première page ! sans que ayez ensuite le moindre désir de le laisser tomber.. ??
Plutôt que de vous raconter l'histoire, je préfère justement répondre à cette question -je vous remercie d'ailleurs de me l'avoir posée- puisque j'observe que votre réticence première a maintenant cédé à votre impatience d'en connaître tous les secrets..
L'auteur est d'origine anglaise, vous vous attendez donc naturellement à de "l'humour british". Mais déjà soyons bien claire, rien à voir avec l'humour très hard de certains de ces congénères : par exemple, P.G Wodehouse, dans "Gardez le sourire, Jeeves" .
Vouloir "dégoter" , et placer à tout prix et à longueur de page", des formules hilarantes qui font mouche, avouez que cela peut devenir pesant, surtout quand l'intrigue n'est ni intéressante, ni bien maitrisée. C'est l'ennui qui s'installe , à coup sûr ..
Or, Stephen Benatar ne cède nulle part à cette facilité! !
Bien au contraire ! : il laisse tranquillement dévider les fils de son imagination , (prodigieuse, s'il en est ..), sans forcer le trait , car il fait le choix d'un style et d'un vocabulaire étonnamment sobre !!
Or, c'est ce qui fait justement l'humanité de son regard ! et donc la force de conviction de son écriture. Car c'est ainsi qu'il réussit insensiblement , -sans jamais que le lecteur se mue en un désagréable voyeur- à nous plonger au coeur des émotions de son personnage principal, à nous faire pénétrer sans aucun malaise et pour plus grand plaisir de lecture, dans les méandres de ses pensées les plus intimes, et dans ses fantasmes..
Ce personnage est celui d'une femme dont Bénatar sait pertinemment qu'elle aurait pu nous ressembler après tout, .. Ne nous arrive-t-il pas de rêver nous aussi à une "nouvelle vie".. Notre identification à celle-ci, voilà un ressort de plus qui accroche le lecteur dès le début. .. A la suite d'un héritage totalement inattendu, Alicia s'était imaginée qu'elle disposait ainsi des clés pour "changer sa vie". Elle allait enfin" vivre SA vie", quitter cet univers routinier, ennuyeux où elle vivote avec sa mère, où il ne passe jamais rien, pour se construire enfin cette nouvelle vie ardemment désirée, se faire de nouveaux amis..
Propulsée ainsi dans sa nouvelle maison ,habitée autrefois par un célèbre philantrope, et dans un univers de la middle class qui jusqu'ici lui était totalement étranger, elle se cogne en permanence au "mur de verre" du cloisonnement social, même si à la faveur d'une rencontre de voisinage, elle est pourtant intimement persuadée d'avoir enfin réussi à tisser un un lien social, sincère et durable, sur lequel elle délire alors , au point de créer des situations complètement improbables, inimaginables,.. je vous laisse le plaisir de les découvrir..
Ce personnage est bien sûr pathétique à nos yeux de lecteur, et c'est là aussi tout le talent de Benatar de le rendre émouvant et même attachant. Il a su en effet intelligemment éviter un deuxième écueil, sur un sujet sensible comme celui-là : celui de tomber dans la mièvrerie. Ah ! la pôvre !! .. pour jouer au contraire sur le registre de la drôlerie. Son dispositif narratif est alors ici très astucieux.. Il aurait pu céder à la simple description très minutieuse et peut-être fastidieuse de la psychologie de ce personnage, mise en échec dans ses tentatives de se créer enfin du lien social. Il aurait alors s'épancher par conséquent sur la tristesse de cette nouvelle vie finalement fade, pour ne pas dire ratée..L'auteur choisit plutôt de faire vivre ses scènes, - attendez-vous à aller de surprise en surprise !! , en recourant au comique de situation. C'est alors à travers des plans séquences, courts de quelques pages , qui sont autant de sketches surprenants, de plus en plus étranges même, que le lecteur comprend qu'elle est en train de glisser insensiblement dans cette douce folie qui la gagne, et de dépasser alors les bornes de ce les experts appellent a "normalité"..
Il joue aussi du paradoxe, la présentant comme étant pourtant animée d'un fort sentiment d'accomplissement de cette vie "en technicolor" dont elle avait tant rêvée. Pourtant, les ratages sont nombreux et pourraient même être présentés comme douloureux (par exemple l'épisode de sa trop brève et furtive découverte de la "chose sexuelle" fait plutôt sourire, là encore, sans s'appesantir)..
C'est alors que l'on va décidément de surprise en surprise : car l'auteur a de plus, ce don de mettre dans ce texte, qui doit rester résolument très léger et très fluide, juste ce qu'il faut d'invraisemblances, parfois même de surnaturel dans cet onirisme de plus en plus débridé (l'image de l'ancien propriétaire épinglée sur le mur se dédouble, et devient la personnalité avec qui elle est convaincue de s'être même mariée.alors qu'il est pourtant mort de sa belle mort, depuis longtemps. . ) .
Enfin, il y a cet ingrédient qui donne à la recette toute sa complète saveur, qui consiste à glisser sans ce plat savoureux , quelques graines des chansons du "jude box" de la demoiselle: ils ajoutent un zeste de joyeuse nostalgie, donc de fantaisie et donc encore de légèreté à ce récit : elle chante, elle serait donc bien vivante parmi les vivants, mais dans ces brefs instants, n'est-elle pas plutôt coupée de la réalité, celle qui sans doute l'a fait trop souffrir, et dont elle cherche ainsi à s'échapper pour se soulager.
Les fils tendus par Bénétar pour tisser ce roman complètement a-typique sur un sujet aussi sensible et périlleux , -celle d'une femme somnanmbule qui tente vaille que vaille de garder l'équilibre sur le fil de sa "nouvelle vie si ardemment rêvée" - sont ceux d'un artisan écrivain de la plus belle étoffe, qui ne méritait pas , comme ce fut le cas à sa sortie, de figurer aux yeux du jury du Booker Prize, parmi les "Indésirés", (pour reprendre l'expression utilisée pour en faire le titre de son nouveau livre, sorti récemment, en 2015) "Les Indésirés" de Stephen Lévy Kuentz. Ce jury à l'époque n'avait pas daigné s'y intéresser, : un livre judé d'emblée dérangeant à leurs yeux, (ils ne l'avaient pas même lû), ainsi donc rejeté par ce que Kuentz appelle donc aujourd'hui par "l'industrie des best-sellers. Il aurait pu après tout avoir un "effet miroir", auprès de certains lecteurs et donc ne pas atteindre les volumes de ventes désirés... Thank you very much !! à cet homme providentiel qui vient de l'exhumer, .. pour notre plus grand plaisir de lecture !!
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