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Critique de Syl


Imaginez, une petite femme proche des quatre-vingt ans, dans un tailleur en tweed maronnasse (le bleu, le rose et le jaune sont pour les sorties), les chaussures plates, les cheveux amidonnés… elle se précipite derrière ses petits trésors, des toutous qui s'en vont en jappant et bavant dans les couloirs qui mènent vers les cuisines du palais. Cette délégation, très peu ordinaire, débouche dans la rue et sur le bibliobus de la commune de Westminster. Elle, c'est Elisabeth II d'Angleterre and Co.

Sa Majesté fait alors la connaissance du chauffeur-bibliothécaire, Mr Hutchings, et d'un commis de cuisine, Norman Seakins. Par courtoisie et pour ne pas paraître dédaigneuse, elle parcourt du regard les rayonnages ambulants et saisit un livre…
… La semaine suivante, pour fuir une de ses obligations de souveraine, elle prend le prétexte de le rapporter et retrouve le jeune Norman et Mr Hutchings.
« - Comment l'avez-vous trouvé, Madame ? demanda Mr Hutchings.
– le livre de dame Ivy ? Un peu sec. Et tous les personnages s'expriment de la même façon, l'aviez-vous remarqué ?
– A dire la vérité, Madame, je n'ai jamais pu dépasser les premières pages. Jusqu'où Votre Majesté est-elle allée ?
– Oh, jusqu'au bout. Une fois que je commence un livre, je le termine. C'est ainsi qu'on était élevé jadis : qu'il s'agisse des livres, des tartines beurrées ou de la purée de pommes de terre, il fallait toujours finir ce qu'il y avait dans son assiette. Ma philosophie n'a jamais varié sur ce point. »
Une petite discussion s'engage sur certains auteurs de sa connaissance. Elle repart quelques instants après avec un second roman.

Ainsi s'amorce la nouvelle lubie de la reine. Proust, les soeurs Brontë, Nancy Mitford… romans, poèmes, essais, art… Elle lit, elle note des passages, des résumés, ses ressentis, elle commence à faire des LAL (listes à lire), envoie son nouveau clerc Norman, nouvellement débauché des cuisines pour l'assister dans sa découverte littéraire, chercher les bouquins… Elle traîne partout un livre, deux livres… un qu'elle lit, l'autre qu'elle offre… Elle devient livrophage et s'empresse de faire partager ce plaisir.
« - Vous avez entendu parler du site d'Ur, je suppose ?
Ce n'était apparemment pas le cas. Aussi, avant qu'il ne reparte, la reine lui passa deux ou trois livres qui devaient lui permettre de combler cette lacune. La semaine suivante, elle lui demanda s'il les avait lus (ce qu'il s'était bien gardé de faire).
– Ils étaient très instructifs, Madame, répondit le Premier ministre.
– Dans ce cas, je vais vous en passer d'autres. Je trouve ce sujet fascinant. (…)
Sir Kevin finit par recevoir un coup de fil du conseiller particulier.
– Mon patron m'informe que votre patronne commence à lui casser les pieds, attaqua celui-ci.
– Vraiment ?
– Oui, elle n'arrête pas de lui prêter des livres. C'est parfaitement déplacé.
– Sa Majesté adore la lecture.
– Personnellement, j'adore me faire sucer la b..e. Mais je ne demande pas au Premier ministre de me rendre ce service. Vous avez une idée, Kevin ?
– Je parlerai à sa Majesté.
– Excellente initiative, Kevin. Et dites-lui de nous lâcher la grappe. »

La reine étonne son monde, puis très vite énerve. Elle dérange le protocole et agace les gens qui l'entourent, de son valet de pied, en passant par son secrétaire particulier Sir Kevin, le Premier ministre, son duc de mari, jusqu'à ses chiens qui jalousent avec rage le dernier passe temps de leur maîtresse.
« - (…) La reine lit. Les gens n'ont pas besoin d'en savoir plus. J'imagine leur réaction, dans leur grande majorité : « Et alors ? La belle affaire. »
– Lire, c'est se retirer, dit sir Kevin. Se rendre indisponible. La chose serait peut-être moins préoccupante si cette recherche relevait d'une démarche moins… égoïste.
– Egoïste ?
– Peut-être aurais-je dû parler de solipsisme.
– Peut-être auriez-vous dû, en effet.
Sir Kevin se jeta à l'eau.
– Si nous étions en mesure de raccrocher vos lectures à un projet plus vaste – l'instruction de la nation tout entière, par exemple, ou la promotion de la lecture au sein de la jeunesse…
– On lit pour son plaisir, dit la reine. Il ne s'agit pas d'un devoir public. »

Cette escapade entre des pages est plus qu'un divertissement, c'est une survie. La reine lit et s'évade. Serait-ce une trahison envers la couronne ?
La panique désorganise les services, des directives sont prises et vont à l'encontre des désirs de la reine. Les livres deviennent une menace ! Que va-t-il se passer ?

I wish you good readings your Majesty !

Un petit livre très agréable à lire. Un humour fin, désopilant, grinçant, une histoire folle sur un ton très british. le cérémonial et la bienséance sont perturbés par une femme qui a décidé de lire, de s'accorder ce délice dans les dernières années de sa vie. C'est une fiction, mais j'imagine très bien cette femme contrainte toute sa vie à l'étiquette guindée, fuir sa condition dans la poésie et la romance. Encore empesée et circonspecte, elle arrive à paraître plus accessible et sympathique. Lui offrir un thé ? Oui, avec grand plaisir. Lui faire la bise ? Non, pas encore. Voyons, c'est la reine !!!
J'ai retenu deux jolis mots : Opsimath et tabellion. Je vous laisse le plaisir d'aller chercher les définitions.
Alors ? Oui, je vous le conseille… 122 pages rapidement lues avec le sourire.
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