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Critique de belcantoeu


Ecrivain globe-trotteur né à Albi, Pierre Benoit (1886-1962) est notamment connu pour avoir inventé un prix récompensant le plus mauvais livre de l'année. le prix consistait en un aller simple en chemin de fer vers sa ville natale, avec une lettre lui demandant de ne plus en sortir. Pendant la guerre 1914-1918, Benoit a été blessé lors de la bataille de Charleroi. Cultivant l'exotisme, beaucoup de ses romans se passent à l'étranger.
Dans ce roman-ci, attirant mais peu connu, la voiture de l'ingénieur Costes, en route pour son poste à la Cie du Canal de Suez en Egypte, est heurtée par celle de M. de Lunegarde. Sa voiture ne peut plus continuer, lui a le genou démis, et M. de Lunegarde, fautif car il n'a pas sorti le bras pour signaler son changement de direction (sa vieille voiture n'était pas encore pourvue d'un clignoteur à l'époque) lui offre l'hospitalité, le temps que la voiture soit réparée et son genou remis. L'hospitalité est froide mais généreuse: «M. de Lunegarde lui versa un verre d'armagnac. le contenu, qui était vraiment de premier ordre, ne réussissait qu'à faire regretter l'exiguïté du contenant».
L'atmosphère au château est donc assez froide, y compris avec Elisabeth, 25 ans, la fille de M. de Lunegarde, qui ne s'intéresse pas à lui et ne lui parle qu'à peine. Costes apprend par le médecin que Lunegarde a servi en Tunisie, d'où il est revenu avec Elisabeth quand elle avait 3 ans, mais sans sa femme, dont tout le monde ignore ce qu'elle est devenue. le sujet est tabou.
Le soir, Costes monte dans sa chambre, et découvre avec stupéfaction Elisabeth toute nue sur son lit. S'en suit quelques pages assez chaudes, mais où aucune parole n'est échangée. le lendemain, la scène se renouvelle («Une fois encore, il fut sa chose, farouchement, éperdument. A combien de reprises s'enchevêtrèrent et se réenchevêtrèrent-ils de la sorte...» ? Il en devient amoureux, se dit prêt à tout faire pour elle, et elle lui fixe un nouveau rendez-vous à 23h où elle lui demandera quelque chose d'important. Entretemps, l'automobile est réparée, et Costes a toutes les peines du monde à justifier une nouvelle nuit chez son hôte. le soir, Elisabeth est là à l'heure dite. de plus en plus épris, il la demande en mariage, mais elle répond qu'elle ne sera la femme que de l'homme qui lui apprendra ce que sa mère est devenue. Elle compte sur lui («Autrement, je n'aurais pas couché avec toi cette nuit». Tout ce qu'elle a appris de sa mère, c'est qu'elle a travaillé dans un établissement de plaisirs d'Alexandrie, le Pavillon bleu où la comtesse Armande de Lunegarde chantait sous le nom de Janine Dupré. «Tel fut le traité conclu».
Mêlant souvent l'aventure et l'érotisme, Pierre Benoit a créé un type d'héroïne troublante, qu'il qualifiait de «bacchante» ou d'«amazone», hypnotisant les hommes et les poussant au crime ou à leur perte comme Antinéa dans L'Atlantide, l'un de ses romans les plus connus.
Costes prend possession de son nouveau poste et participe aux mondanités de la haute société du Canal de Suez. Par chance, Alexandrie n'est pas loin. Il s'informe, mais hélas, le Pavillon bleu a fermé depuis longtemps. Peut-être peut-on retrouver quelqu'un qui y a travaillé. Costes est bientôt embarqué comme témoin dans un duel arbitré par M. de Roquemaure dont Costes apprend qu'il a aussi arbitré un duel en Tunisie il y a 16 ans, l'année où Lunegarde a quitté Tunis. Et le lecteur apprend que c'est un duel où M. de Lunegarde a tué son adversaire, un vice-consul amant de sa femme, qu'il a laissée en Tunisie où elle est devenue un temps la maîtresse de M. de Roquemaure avant de l'abandonner pour se faire entretenir par un autre puis un autre encore. Roquemaure a perdu sa trace. Par un autre, Costes apprend qu'un moment, elle a tenu le Select Bar, qui n'existe plus. le roman continue comme une sorte de jeu de piste pour retrouver une trace auprès de ses multiples amants successifs: tenancier de bar louche en prison, toxicomane, et autres du même genre. Elle-même a sombré dans la drogue dure, mais toutes les pistes s'arrêtent à une certaine date. Vit-elle encore ? Finalement, on découvre qu'elle a séjourné au Caire à l'hospice Ste-Marie-Madeleine, mais elle en est partie sans que la supérieure sache où elle est allée. Peut-être l'ancien aumônier en sait-il plus, mais il a été nommé évêque en France. La quête continue donc en métropole. «Le wagon dans lequel il monta... appartenait à cette catégorie de véhicules que les employés des réseaux sont les premiers surpris de voir arriver à destination». Costes arrive à localiser l'évêque, Mgr Lavergne, mais celui-ci, qui pourrait enfin lui donner une réponse, est mourant. Costes explique son cas avec beaucoup de conviction au père Thiberge, un proche de l'évêque, au point qu'il est reçu par ce dernier qui l'envoie aux nouvelles avec un petit mot dans un couvent où la supérieure accepte de le recevoir. Voici les toutes dernières lignes du roman, page 252
«- Qu'attendez-vous de moi, monsieur, répéta la mère Marie-Madeleine ?
- Ma mère, balbutia Costes, Mgr Lavergne vous l'a écrit. Il s'agit d'Armance... excusez-moi, de Mme de Lunegarde.
Elle le regarda. Elle lui sourit. Sa bouche, comme dit le cantique, fut pareille à l'anémone de Siloé.
- Ce qu'est devenue la femme qui aura été connue ici-bas sous le nom d'Armance de Lunegarde, c'est ce que vous voulez savoir, n'est-ce pas ?
Continuant à sourire, elle avait mis un doigt sur ses lèves.
- Chut ! murmura-t-elle. C'est moi».
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