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Citations sur Œuvres complètes de Béranger, vol 3 (6)

LES FOUS

AIR : Ce magistrat irréprochable


Vieux soldats de plomb que nous sommes,
Au cordeau nous alignant tous,
Si des rangs sortent quelques hommes,
Tous nous crions : À bas les fous !
On les persécute, on les tue ;
Sauf, après un lent examen,
À leur dresser une statue,
Pour la gloire du genre humain.

Combien de temps une pensée,
Vierge obscure, attend son époux !
Les sots la traitent d’insensée ;
Le sage lui dit : Cachez-vous.
Mais, la rencontrant loin du monde,
Un fou qui croit au lendemain,
L’épouse ; elle devient féconde
Pour le bonheur du genre humain.

J’ai vu Saint-Simon le prophète,
Riche d’abord, puis endetté,
Qui des fondements jusqu’au faîte
Refaisait la société.
Plein de son œuvre commencée,
Vieux, pour elle il tendait la main,
Sûr qu’il embrassait la pensée
Qui doit sauver le genre humain.

Fourier nous dit : Sors de la fange,
Peuple en proie aux déceptions !
Travaille, groupé par phalange,
Dans un cercle d’attractions.
La terre, après tant de désastres,
Forme avec le ciel un hymen,
Et la loi qui régit les astres
Donne la paix au genre humain !

Enfantin affranchit la femme,
L’appelle à partager nos droits.
Fi ! dites-vous ; sous l’épigramme
Ces fous rêveurs tombent tous trois.
Messieurs, lorsqu’en vain notre sphère
Du bonheur cherche le chemin,
Honneur au fou qui ferait faire
Un rêve heureux au genre humain !

Qui découvrit un nouveau monde ?
Un fou qu’on raillait en tout lieu.
Sur la croix que son sang inonde,
Un fou qui meurt nous lègue un Dieu.
Si demain, oubliant d’éclore,
Le jour manquait, eh bien ! demain,
Quelque fou trouverait encore
Un flambeau pour le genre humain.

p.113-114
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LES ORANGS-OUTANGS

AIR : Un ancien proverbe nous dit ;
ou de Calpigi.


Jadis, si l’on en croit Ésope,
Les orangs-outangs de l’Europe
Parlaient si bien, que d’eux, hélas !
Nous sont venus les avocats.
Un des leurs, à son auditoire
Dit un jour : « Consultez l’histoire ;
« Messieurs, l’homme fut en tout temps
« Le singe des orangs-outangs.

« Oui ; d’abord, vivant de nos miettes,
« Il prit de nous l’art des cueillettes ;
« Puis, d’après nous, le genre humain
« Marcha droit, la canne à la main.
« Même avec le ciel qui l’effraie,
« Il use de notre monnaie.
« Messieurs, l’homme fut en tout temps
« Le singe des orangs-outangs.

« Il prend nos amours pour modèles ;
« Mais nos guenons nous sont fidèles.
« Sans doute il n’a bien imité
« Que notre cynisme effronté.
« C’est, chez nous, qu’à vivre sans gêne
« S’instruisit le grand Diogène.
« Messieurs, l’homme fut en tout temps
« Le singe des orangs-outangs.

« L’homme a vu chez nous une armée,
« D’un centre et d’ailes bien formée,
« Ayant, sous les chefs les meilleurs,
« Garde, avant-garde et tirailleurs.
« Il n’avait pas mis Troie en cendre,
« Que nous comptions vingt Alexandre.
« Messieurs, l’homme fut en tout temps,
« Le singe des orangs-outangs.

« Avec bâton, épée ou lance,
« Tuer est l’art par excellence.
« Nous l’enseignons. Or dites-moi,
« Pourquoi l’homme est-il notre roi ?
« Grands dieux ! c’est fait pour rendre impie.
« Votre image est notre copie.
« Oui, dieux, l’homme fut en tout temps
« Le singe des orangs-outangs. »

Quoi ! dit Jupin, à mes oreilles,
Toujours, singes, castors, abeilles,
Crieront : C’est un ours mal léché,
Votre homme ; où l’avez-vous péché ?
Tout sot qu’il est, il me cajole.
Ôtons aux bêtes la parole ;
Car l’homme encor sera longtemps
Le singe des orangs-outangs.

p.111-112
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LES CINQ ÉTAGES

Air : Dans cette maison à quinze ans
ou J’étais bon chasseur autrefois


Dans la soupente d’un portier
Je naquis au rez-de-chaussée.
Par tous les laquais du quartier,
À quinze ans, je fus pourchassée.
Mais bientôt un jeune seigneur
M’enlève à leur doux caquetage.
Ma vertu me vaut cet honneur ;
Et je monte au premier étage.

Là, dans un riche appartement,
Mes mains deviennent des plus blanches ;
Grâce à l’or de mon jeune amant,
Là, tous les jours sont des dimanches ;
Mais, par trop d’amour emporté,
Il meurt. Ah ! pour moi quel veuvage !
Mes pleurs respectent ma beauté ;
Et je monte au deuxième étage.

Là, je trompe un vieux duc et pair
Dont le neveu touche mon âme :
Ils ont d’un feu payé bien cher,
L’un la cendre et l’autre la flamme.
Vient un danseur ; nouveaux amours !
La noblesse alors déménage.
Mon miroir me sourit toujours ;
Et je monte au troisième étage.

Là, je plume un bon gros Anglais,
Qui me croit et veuve et baronne ;
Puis deux financiers vieux et laids ;
Même un prélat, Dieu me pardonne !
Mais un escroc que je chéris
Me vole en parlant mariage.
Je perds tout ; j’ai des cheveux gris ;
Et je monte encore un étage.

Au quatrième, autre métier.
Des nièces me sont nécessaires ;
Nous scandalisons le quartier,
Nous nous moquons des commissaires.
Mangeant mon pain à la vapeur,
Des plaisirs je fais le ménage.
Trop vieille enfin je leur fais peur ;
Et je monte au cinquième étage.

Dans la mansarde me voilà,
Me voilà pauvre balayeuse.
Seule et sans feu, je finis là
Ma vie au printemps si joyeuse.
Je conte à mes voisins surpris
Ma fortune à différents âges,
Et j’en trouve encor des débris
En balayant les cinq étages.

p.43-44
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LE BONHEUR


Le vois-tu bien, là bas, là bas,
Là bas, là bas ? dit l’Espérance.
Bourgeois, manants, rois et prélats
Lui font de loin la révérence. (bis.)
C’est le Bonheur, dit l’Espérance.
Courons, courons ; doublons le pas,
Pour le trouver là bas, là bas,
Là bas, là bas.

Le vois-tu bien, là bas, là bas,
Là bas, là bas, sous la verdure ?
Il croit à d’éternels appas,
Même à l’amour qui toujours dure.
Qu’on est heureux sous la verdure !
Courons, courons ; doublons le pas,
Pour le trouver là bas, là bas,
Là bas, là bas.

Le vois-tu bien, là bas, là bas,
Là bas, là bas, à la campagne ?
D’enfants et de grains, Dieu ! quel tas !
Quels gros baisers à sa compagne !
Qu’on est heureux à la campagne !
Courons, courons ; doublons le pas,
Pour le trouver là bas, là bas,
Là bas, là bas.

Le vois-tu bien, là bas, là bas,
Là bas, là bas, dans une banque ?
S’il est un plaisir qu’il n’ait pas,
C’est qu’au marché ce plaisir manque.
Qu’on est heureux dans une banque !
Courons, courons ; doublons le pas,
Pour le trouver là bas, là bas,
Là bas, là bas.

Le vois-tu bien, là bas, là bas,
Là bas, là bas, dans une armée ?
Il mesure au bruit des combats
Tout le bruit de sa renommée.
Qu’on est heureux dans une armée !
Courons, courons ; doublons le pas,
Pour le trouver là bas, là bas,
Là bas, là bas.

Le vois-tu bien, là bas, là bas,
Là bas, là bas, sur un navire ?
L’arc-en-ciel brille dans ses mâts ;
Toutes les mers vont lui sourire.
Qu’on est heureux sur un navire !
Courons, courons ; doublons le pas,
Pour le trouver là bas, là bas,
Là bas, là bas.

Le vois-tu bien, là bas, là bas,
Là bas, là bas, c’est en Asie ?
Roi, pour sceptre il porte un damas
Dont il use à sa fantaisie.
Qu’on est heureux dans cette Asie !
Courons, courons ; doublons le pas,
Pour le trouver là bas, là bas,
Là bas, là bas.

Le vois-tu bien, là bas, là bas,
Là bas, là bas, en Amérique ?
Sous un arbre il met habit bas
Pour présider sa république.
Qu’on est heureux en Amérique !
Courons, courons ; doublons le pas,
Pour le trouver là bas, là bas,
Là bas, là bas.

Le vois-tu bien, là bas, là bas,
Là bas, là bas, dans ces nuages ?
Ah ! dit l’homme enfin vieux et las,
C’est trop d’inutiles voyages.
Enfants, courez vers ces nuages.
Courez, courez ; doublez le pas,
Pour le trouver là bas, là bas,
Là bas, là bas.

p.39-40-41
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À MES AMIS
DEVENUS MINISTRES


Non, mes amis, non, je ne veux rien être ;
Semez ailleurs places, titres et croix.
Non, pour les cours Dieu ne m’a pas fait naître :
Oiseau craintif je fuis la glu des rois.
Que me faut-il ? maîtresse à fine taille,
Petit repas et joyeux entretien.
De mon berceau près de bénir la paille,
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

Un sort brillant serait chose importune
Pour moi, rimeur, qui vis de temps perdu.
M’est-il tombé des miettes de fortune,
Tout bas je dis : Ce pain ne m’est pas dû.
Quel artisan, pauvre, hélas ! quoi qu’il fasse,
N’a plus que moi droit à ce peu de bien ?
Sans trop rougir fouillons dans ma besace.
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

Au ciel, un jour, une extase profonde
Vient me ravir, et je regarde en bas.
De là, mon œil confond dans notre monde
Rois et sujets, généraux et soldats.
Un bruit m’arrive ; est-ce un bruit de victoire ?
On crie un nom ; je ne l’entends pas bien.
Grands, dont là bas je vois ramper la gloire,
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

Sachez pourtant, pilotes du royaume,
Combien j’admire un homme de vertu,
Qui, regrettant son hôtel ou son chaume,
Monte au vaisseau par tous les vents battu.
De loin ma voix lui crie : Heureux voyage !
Priant de cœur pour tout grand citoyen.
Mais au soleil je m’endors sur la plage.
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

Votre tombeau sera pompeux sans doute ;
J’aurai, sous l’herbe, une fosse à l’écart.
Un peuple en deuil vous fait cortège en route ;
Du pauvre, moi, j’attends le corbillard.
En vain on court où votre étoile tombe ;
Qu’importe alors votre gîte ou le mien ?
La différence est toujours une tombe.
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

De ce palais souffrez donc que je sorte.
À vos grandeurs je devais un salut.
Amis, adieu. J’ai derrière la porte
Laissé tantôt mes sabots et mon luth.
Sous ces lambris près de vous accourue,
La Liberté s’offre à vous pour soutien.
Je vais chanter ses bienfaits dans la rue.
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

p.65-66
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LE VIEUX VAGABOND

Air : Guide mes pas, Ô Providence ! (des Deux Journées)


Dans ce fossé cessons de vivre.
Je finis vieux, infirme et las.
Les passants vont dire : Il est ivre.
Tant mieux ! ils ne me plaindront pas.
J’en vois qui détournent la tête ;
D’autres me jettent quelques sous.
Courez vite ; allez à la fête.
 Vieux vagabond, je puis mourir sans vous.

Oui, je meurs ici de vieillesse
Parce qu’on ne meurt pas de faim.
J’espérais voir de ma détresse
L’hôpital adoucir la fin.
Mais tout est plein dans chaque hospice,
Tant le peuple est infortuné.
La rue, hélas ! fut ma nourrice.
 Vieux vagabond, mourons où je suis né.

Aux artisans, dans mon jeune âge,
J’ai dit : Qu’on m’enseigne un métier.
Va, nous n’avons pas trop d’ouvrage,
Répondaient-ils, va mendier.
Riches, qui me disiez : Travaille,
J’eus bien des os de vos repas ;
J’ai bien dormi sur votre paille.
 Vieux vagabond, je ne vous maudis pas.

J’aurais pu voler, moi, pauvre homme ;
Mais non : mieux vaut tendre la main.
Au plus, j’ai dérobé la pomme
Qui mûrit au bord du chemin.
Vingt fois pourtant on me verrouille
Dans les cachots, de par le roi.
De mon seul bien on me dépouille.
 Vieux vagabond, le soleil est à moi.

Le pauvre a-t-il une patrie ?
Que me font vos vins et vos blés,
Votre gloire et votre industrie,
Et vos orateurs assemblés ?
Dans vos murs ouverts à ses armes,
Lorsque l’étranger s’engraissait,
Comme un sot j’ai versé des larmes.
 Vieux vagabond, sa main me nourrissait.

Comme un insecte fait pour nuire,
Hommes, que ne m’écrasiez-vous ?
Ah ! plutôt vous deviez m’instruire
À travailler au bien de tous.
Mis à l’abri du vent contraire,
Le ver fût devenu fourmi ;
Je vous aurais chéris en frère.
 Vieux vagabond, je meurs votre ennemi.

p.102-103
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