Dostoievski et l'amour ( 23 pages)
Ce texte constitue le 5ème chapitre de L'Esprit de
Dostoievski, paru en 1923. Il est disponible gratuitement sur la bibliothèque russe et slave. Je le recommande à tous ceux qui s'intéressent à
Dostoievski.
Voici ce que j'ai retenu :
L'amour chez
Dostoievski est exclusivement passionnel, volcanique. Un feu qui déchire l'individu, le dévore de l'intérieur. Quand il en a épuisé toutes les ardeurs, l'individu tombe dans une insensibilité frigide comme un volcan éteint.
Il n'y a pas de tradition courtoise en Russie, pas de Tristan et Iseut, pas de Roméo et Juliette, pas de
Dante et Béatrice, pas d'amour romantique non plus. La manifestation russe de l'amour n'a rien de sublime, il est sombre et monstrueux.
L'amour chez
Dostoievski n'a pas de type propre, de prix en soi. Il n'est là que pour révéler à l'homme sa route tragique, pour servir de réactif à la liberté humaine. La femme n'est pas un personnage indépendant ( comme Tatiana chez
Pouchkine ou Anna chez Tolstoï ). Elle est une étape de la destinée de l'homme, son expression intérieure.
L'amour est l'indice suprême de son dédoublement et c'est un ouragan qui le conduit au crime ou à la folie. L'amour sexuel signifie la perte de son intégrité. La passion est toujours impure. L'amant aime presque toujours deux "objets" , deux courants, deux gouffres qui vont l'abîmer : le gouffre de la sensualité et le gouffre de la pitié. Ainsi s'affrontent Nastasia et Aglaé dans
l'Idiot, Grouchenka et Catherine Ivanovna dans
Les frères Karamazov. L'homme apporte son propre déchirement et l'entraîne à sa perte. Il n'arrivera jamais à la communion.
Chez
Dostoievski, il n'existe pas dans la femme de trace de la mère terrienne ou de la Vierge bienheureuse. La faute repose uniquement sur l'homme. C'est lui qui s'est arraché du principe féminin, qui a renoncé à sa terre maternelle, à sa propre virginité et a pris le chemin de l'erreur et du dédoublement. A présent il se montre sans force devant la femme et ne la comprend pas. La sensualité est un fleuve de feu qui le dévore tout entier et quand le courant enflammé s'éteint, la passion se change en un froid qui le glace.