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Critique de michfred


Qu'est ce qui fonde l' identité juive quand on ne pratique pas la religion, qu'on ne connaît pas la portée symbolique des rites et des fêtes, qu'on a un prénom et un nom sans le moindre soupçon de judéité, qu'on ignore même pendant de longues années l'histoire tragique de sa propre famille et que les "survivants" autour de soi se taisent, esquivent, font même disparaître les faibles traces d'existences chères, perdues dans la nuit et le brouillard ?

Plus que l'enquête presque policière et longuement différée sur l'origine de la carte postale , plus que la reconstitution d'une histoire familiale déchirante et pleine de terribles béances. c'est cette question qui m'a fascinée et bouleversée parce qu'elle met en branle l'inconscient collectif dans la conscience individuelle, le déterminisme tragique des non-dits et des drames dans la trajectoire personnelle, le poids des noms, le poids des mots, le poids des morts dans la vie des vivants.

Anne Berest relève avec une acuité, une précision et une honnêteté totales les différentes occurrences et incidences qu'a eues le mot "juif " sur sa vie d'enfant assimilée, laïque, apparemment sans lien avec la condition juive.

Son deuxième prénom, Myriam, celui de sa grand mère survivante, joue sur sa vie comme un destin. Elle est celle qui échappe, celle qui survit, celle qui DOIT se souvenir quand bien même elle voudrait esquiver. Comme cette grand mère qui dans le chaos même de la vieillesse saura se souvenir.

L' enquête d'Anne (son en-quête) ne se déclenche pas à la suite du récit que lui fait sa mère de la tragique histoire familiale, mais des années plus tard, à la suite d'un propos antisémite relevé par sa petite fille de six ans.

Comme si la condition juive etait une sorte de fatum qui soudain vous convoque, vous somme de porter individuellement une part, votre part, du destin collectif.

Comme si elle était liée etroitement à la transmission, une sorte de passage de relais indispensable, douloureux, mais nécessaire.

À la fois une chaîne et une délivrance.

Voilà un livre écrit avec sobriété et neutralité. Sans effet de style, et tant mieux.

Ce n'est ni un roman, puisque tout y est vrai jusqu'à la fameuse carte postale, ni un suspense même si l'enquête est passionnante, ni une chronique même si elle nous fait croiser des noms célèbres (René Char, poète et grand résistant, Picabia, dadaiste, peintre et l'arrière grand père de l'auteure, Gabriële Buffet, épouse et muse de ce dernier, déjà évoquée dans un livre des soeurs Berest). Ce n'est pas non plus une histoire personnelle s'inscrivant dans la sombre histoire collective de ces années de collaboration, de délation, de complicité honteuses d'une partie de la France et des Français à l'un des plus grands crimes contre l'humanité qui ait existé.

La Carte Postale est une question profonde, lancinante, qui cherche et trouve sa réponse dans un patient et sobre travail d'investigation. Et qui par conséquent peut aussi bouleverser, toucher, même si ce n'est pas son but premier.

Un livre puissant et nécessaire.
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