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Critique de lebelier


Encore une fois, je me suis fait piéger. Encore une fois, je ne pensais pas tout lire. Et encore une fois, j'ai lu avidement ce roman-miroir de la vie de Pierre Bergounioux.
Donc les jours s'écoulent avec leurs malheurs, et, triste coïncidence, la tragédie atteint son paroxysme à la fin du volume où l'auteur perd sa mère et se retrouve confronté aux pouvoirs obscurs des attentats à Paris.

« (Après les attentats de Charlie Hebdo) A quelle source ténébreuse s'alimentent cette imbécilité meurtrière, cette haine concentrée, inexpiable, quels hommes, groupes, structures sociales sécrètent ces poisons, quelle guerre nous livre-t-on, sous des cagoules ? »

Sinon, ces cinq années sont bien noires et des personnes chères à son coeur, décèdent, et notamment son ami d'enfance Mitch et sa compagne.
Les jours se suivent et l'auteur n'en manque aucun, se lève tôt malgré ses soucis de santé et enchaîne les activités et il s'enfonce dans une noirceur bien à lui mais dans laquelle hélas, beaucoup d'entre nous vont se retrouver : l'âge et ses problèmes de santé, à chaque fois il croit mourir sous des poussées de tension ; nos contemporains souvent bêtes et cupides, notamment les artisans à qui il a affaire :

« Triste corporation que celle des artisans, souvent peu compétente, sans moralité, inculte, réactionnaire. »

Après le rêve de l'enfance, de l'adolescence et de la jeunesse, Pierre Bergounioux a peu d'espoir sur le restant de sa vie consacrée exclusivement à lire, à écrire, sculpter du métal, aller parler à des conférences d'un bout à l'autre de la France ou de l'Europe (Belgique et Italie surtout). Il y eut un matin illuminé et il y aura un soir, et ce soir, Bergounioux sent qu'il est entamé : retraite, mort des parents, éloignement du monde qui l'entoure.

« On est accaparé par le souci des apparences, passionné de chiffons, occupé de distinctions nulles quand il devenait possible de s'enfoncer en soi-même, de se connaître pour ce qu'on était, de remédier à notre antique ignorance, à notre tragique insuffisance. »

Aucune indulgence envers le monde contemporain donc. Et le verbe reste haut et sans concession :

« (Lisant un exemplaire de Paris Match) Des photographies montrent comment les Prince de Galles puis ses fils ont porté la barbe. On voit encore un Rothschild, une actrice, je ne sais plus quoi. Honte à ceux qui proposent à l'attention ces parasites, cette fausseté, ce néant. »

Personnellement j'aime beaucoup cet aspect très subjectif de ces « Carnets de notes. » Ils sont plus que nécessaire dans une époque où on se la joue mais avec des édulcorants. Cela donne souvent des scènes amusantes faites de clins d'oeil sur le langage même, d'un zeugma,

« Je reprends le RER et ma lecture de Hegel. »

à une analyse structurale de cuisine :

« (Achetant une pizza) Maintenant, on nous remet aussi un texte, sur la fabrication du « produit » où figure le mot concept. le monde entier parle couramment le sabir des doctorants de troisième cycle de l'Ecole pratique des hautes études des années soixante-dix. »

Dans tout ce marasme, cette existence retirée -mais pas tant que ça, à mon sens – Pierre Bergounioux entrevoit quelques éclaircies aussi bien réelles de la lumière qui croît à partir du 21 décembre, que métaphoriques : les jeux de sa petite fille qui l'emmène et le pousse à s'occuper d'elle et ces enfants de collège qui jouent devant lui une scène de Roméo et Juliette, préparée par une de ses étudiantes aux Beaux-Arts.

« J'ai rendez-vous à l'amphithéâtre d'honneur avec l'étudiante de troisième année et les élèves de collège qui se proposent de monter Roméo et Juliette. Longtemps que je ne m'étais plus adressé à des collégiens, auxquels je m'efforce de rendre sensible ce qui fait l'intérêt de la pièce, le conflit politique qui en constitue le ressort ultime et confère sa couleur éclatante, sa tension tragique, tremblante, meurtrière, à la passion des jeunes héros. Les gosses jouent ensuite, avec conviction, la première scène sous mes yeux. « Est-ce pour moi que vous mordez votre pouce, monsieur ? » J'applaudis. »

Et finalement restent les problèmes matériels de tout un chacun : acheter le pain, faire le plein, acheter des livres, des sculptures africaines à tel point que je me demande où il peut entreposer tout ce que sa compagne et lui achètent. Mais tout vient à point et P. Bergounioux répond vite à nos questions :

« Je ne sais plus où mettre les livres. Chaque nouvelle acquisition doit en chasser une ancienne, pour trouver place. Partagé chaque fois, entre la crainte sacrilège de troubler un passé qui supporte et régente le présent et l'évidente inutilité d'ouvrages dont le sens, l'intérêt se sont comme évaporés avec le temps. »

A finir cet ouvrage, raccourci donc de cinq ans sur les précédents, on ne peut que souhaiter longue vie et santé à notre homme déchiré qui donne à chaque fois une leçon de vie à l'instar des stoïciens :

« le poids des choses qui soutiennent et grèvent l'existence, ravive la vieille tentation de vivre avec trois fois rien, dans une pièce nue, conformément à notre condition toute passagère, insoucieux d'aise et de confort, comme absent au monde avant de l'avoir effectivement quitté. »

Ou plus cruellement peut-être :

« Que sont nos vies ? Qu'importe que nous ayons été ? »

Mais une chose m'a frappée dans ce nouveau Carnet de notes : si tous les « personnages » s'y trouvent - certains s'en vont (parents, amis qui meurent) d'autres apparaissent (bébés divers) – il semble que le premier fils, Jean ne soit pas mentionné plus de trois fois et encore parce que la grand-mère vient de décéder ou qu'une petite a dû être hospitalisée. le volume précédent en parlait beaucoup et là, silence, alors qu'on suit la carrière et la vie du deuxième fils, Paul. Y aurait-il des préférences ? Mystère ?



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