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Critique de Chri


La religion est aussi naturelle que le rire.
L'une et l'autre étudiés par Bergson ont en commun de corriger une insociabilité, plus précisément dans le cas du rire, une inattention à la vie. (voir son célèbre essai sur le rire).
Dans son dernier livre, la religion naturelle est "une réaction défensive de la nature contre ce qu'il pourrait y avoir de déprimant pour l'individu, et de dissolvant pour la société, dans l'exercice de l'intelligence", par sa fonction fabulatrice, agissante comme une sorte d'instinct virtuel, une habitude à former des habitudes.
Cette dure pression sociale, synonyme de tristesse, contraste fortement avec l'élan vital, hypothèse centrale et synonyme de joie dans toute la philosophie de Bergson.
Nous sommes en 1932, le contraste entre une morale close associée à la religion naturelle, et une autre morale ouverte est forcément énorme. Comment ne pas y voir une différence de nature ? La morale close, qui se pose en s'opposant, contient l'obligation pure qui est "la discipline devant l'ennemi".
"Les nations en guerre affirment l'une et l'autre avoir pour elles un dieu qui se trouve ainsi être le dieu national du paganisme, alors que le Dieu dont elles s'imaginent parler est un Dieu commun à tous les hommes, dont la seule vision par tous serait l'abolition immédiate de la guerre".
Ici le paganisme ne désigne pas précisément un culte païen mais plus généralement la religion STATIQUE. Même son ami Jacques Chevalier ne l'a pas compris lorsqu'il minimise le danger du « néo-paganisme allemand », en voyant « un pays demeuré attaché malgré tout à la foi et à la civilisation chrétiennes ». (citation dans « Entretiens avec Bergson » de Jacques Chevalier, qui malheureusement participera au régime de Vichy).
De la même façon Bergson témoigne à propos de Charles Maurras le nationaliste, un autre collabo : « Maurras, dans l'Église, voit l'organisation seule. Son point de vue est une sorte de paganisme spirituel ».
Le point de vue anthropologique de Bergson ne fera que confirmer la permanence d'une certaine mentalité primitive à travers l'histoire. Chacun peut même en faire l'expérience à la manière de son ami philosophe américain William James pris dans un tremblement de terre. En un instant, un instinct virtuel activait l'intelligence qui en venait bizarrement à prêter une intention à la chose, et William James réagissait au tremblement de terre en criant presque : « Mais vas-y donc ! et vas-y plus fort ».
Mais revenons à ce Dieu dont l'essence même est l'amour. "On a pensé que l'homme devait aimer naturellement l'humanité comme on aime sa patrie et sa famille". Bergson observe au contraire, que l'amour de l'humanité « ne prolonge pas un instinct, ne dérive pas d'une idée », ni de l'intensification d'une morale close.
Bergson veut retrouver l'élan vital. Comme dans le « Rire » où il écrivait ses plus belles pages sur la création artistique, il parle ici du mysticisme comme création de morale. C'est un élan créateur qui remonte en deçà de l'intelligence dans « une frange d'intuition, vague et évanouissante » et imprime une vive émotion capable de se propager d'âme en âme.
Après un mot sur Socrate, et quelques "héros obscurs" passés sous silence, on peut lire comment les mystiques chrétiens font la plus forte impression sur Bergson : « La démocratie est d'essence évangélique ».
Son dernier livre est presque le coming-out de sa conversion au catholicisme. Presque, car celle-ci n'aura pas lieu, comme il l'indique dans le livre « Entretiens avec Bergson » (voir plus haut) : « J'éprouvais une difficulté à transformer un acte d'adhésion en un acte d'obéissance ».
C'est aussi par son caractère "complet" ou agissant, que le mysticisme chrétien remporte l'adhésion de Bergson. le détachement ne serait qu'une "demi-vertu". Son acte d'adhésion peut donc être mis en rapport avec son activisme sur le plan international, plus exactement au sein de la Société Des Nations, ancêtre de l'ONU. Pour d'autres formes de prévention contre la guerre, il faudrait aussi se rappeler de son analyse (dans le "Rire") : "le rire est le remède spécifique contre la vanité".
La dernière partie de son oeuvre est une nouvelle page d'anthropologie contemporaine qui questionne sur l'esprit d'invention et la « frénésie » de notre société de consommation : « toute notre civilisation est aphrodisiaque ».
Mais il n'y a jamais de fatalité historique. « Un retour à la simplicité n'a rien d'invraisemblable. La science elle-même pourrait bien nous en montrer le chemin. Tandis que physique et chimie nous aident à satisfaire et nous invitent ainsi à multiplier nos besoins, on peut prévoir que physiologie et médecine nous révéleront de mieux en mieux ce qu'il y a de dangereux dans cette multiplication, et de décevant dans la plupart de nos satisfactions. »
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