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Critique de Santarini


La critique suivante est un extrait de mon livre "Croire ou savoir ?".

Les concepts flous

Dans son ouvrage « L'évolution créatrice », Bergson a recours à un mystérieux et vague « élan vital » pour rendre compte de l'évolution de la vie sur la Terre. Cette approche est, à mon sens, tout à fait similaire au recours à la « volonté de Dieu » pour rendre compte, par exemple, du mouvement des planètes. Il s'agit d'une pseudo-hypothèse qui n'apporte rien, n'explique rien, mais surtout est porteuses d'effets pervers dangereux : elle risque d'inhiber la démarche humble, patiente et méthodique d'observation, de réflexion et d'expérimentation, seule démarche susceptible de conduire pas à pas à une description et à une compréhension de plus en plus fines de la réalité. C'est malheureusement ce qui s'est produit pendant des siècles, avec toutes les conséquences néfastes qu'on connaît, par exemple sur la progression de la médecine. L'« élan vital » de Bergson peut paraître bien innocent, mais je pense vraiment qu'il contient ce germe de perversion, comme bien d'autres approches de ce type, passées ou actuelles. En cela, il est bien révélateur d'un écueil insidieux à éviter.
Chaque fois qu'on a essayé d'expliquer un phénomène de l'Univers physique (que ce soit la foudre, l'électricité, la vie, etc.) par des principes vagues, par des intentions, des dieux ou encore un Dieu, on a, au mieux, piétiné et parfois régressé. Non seulement ces tentatives ne sont pas des explications, mais c'est justement quand on s'en affranchit qu'on commence à progresser dans la compréhension. Ces tentations du passé ne sont pas encore mortes : on trouve encore de nombreux croyants qui essayent d'enfermer Dieu dans le Big Bang (comme une sorte de dernier refuge !). Pourtant, comme toujours, c'est quand on refuse ce genre de facilité qu'on commence à voir s'ouvrir des horizons nouveaux, toujours plus vastes et plus extraordinaires. Dans le cas du Big Bang, l'ouverture laisse entrevoir rien moins que des Univers multiples !

L'humilité de la recherche

Bien sûr, ceux qui ont eu le courage d'entrer dans cette voie de recherche et d'y persévérer ont bien compris qu'on n'a jamais fini de comprendre. Mais l'humilité et l'ascèse qu'elle exige sont payantes : les merveilles découvertes compensent largement les efforts effectués pour y parvenir.
Heureusement que les chimistes ne se sont pas laissé décourager par les préjugés de Bergson qui le conduisent à proposer que la chimie n'est pas applicable à la matière vivante. Ils n'auraient pas découvert tout l'univers de la chimie organique avec, au passage, une foule d'applications médicales pour soulager une multitude de douleurs physiques (et même psychique si l'on pense à toute la pharmacopée de la psychiatrie). Heureusement, de même, que les biochimistes ne se sont pas laissé impressionner par ces autres préjugés qui conduisent le même Bergson à penser que la chimie n'est pas pertinente pour rendre compte du fonctionnement des êtres vivants et de leur évolution. Ils n'auraient peut-être pas découvert l'ADN ni la multitude de ses applications et le généticien Craig Venter n'aurait peut-être pas osé entreprendre les travaux qui lui ont permis de réaliser cette formidable prouesse technologique que constitue le premier être vivant contrôlé par un génome entièrement synthétisé en laboratoire, le premier être vivant sans parents !

Le souci de la vérification

Dans « L'évolution créatrice », je ne rencontre que des suggestions (de formulation souvent imprécise) que des scientifiques appelleraient « hypothèses de travail ». C'est bien normal, quand on essaye de comprendre, de formuler des hypothèses de travail et c'est ce que font en permanence tous les scientifiques (jour et nuit, pourrais-je même ajouter par expérience personnelle…). Seulement voilà : une hypothèse de travail n'a pas d'autre but que de conduire à une prédiction réfutable. On réalise alors l'observation ou l'expérimentation destinée à confirmer ou à infirmer la prédiction et ce n'est qu'en cas de confirmation que l'hypothèse de travail est retenue. Dans le cas contraire (de très loin le plus fréquent), elle va rejoindre le cimetière bien rempli des « bonnes idées » fausses. C'est ainsi que fonctionne la science et c'est ce mécanisme qui est responsable de sa redoutable efficacité. Par contre, dans son « Évolution créatrice », Bergson n'élimine aucune de ses hypothèses de travail (puisqu'il ne les trie pas par l'expérience), de sorte qu'il se retrouve au milieu d'un fatras de préjugés.
Il apparaît, à la lecture, que Bergson est bien au courant des découvertes de son époque, particulièrement en biologie. Malheureusement, il procède un peu à la manière des créationnistes actuels : il passe sous silence toutes les prédictions bien réalisées des théories retenues par la science de son époque et il met l'accent sur quelques difficultés qu'elles n'expliquent pas encore pour justifier l'existence d'un « élan vital » qui pourtant n'explique rien de plus. Pour un lecteur du XXIème siècle, c'est assez amusant : je suis loin d'être un expert en biologie, mais pourtant j'ai plusieurs fois souri à la lecture, dans « L'évolution créatrice », d'un de ces mystères de l'époque de Bergson aujourd'hui bien résolu (et grâce à des explications autrement plus précises et convaincantes qu'un recours à un mystérieux « élan vital »).

L'émerveillement fondé sur le réel

À mon avis, le recours à des concepts flous (comme celui de l'« élan vital » ou même celui de Dieu) ne présente pas seulement un risque d'entrave méthodologique à la démarche scientifique progressive de compréhension. Il est également susceptible, et c'est encore plus grave, d'obscurcir l'enthousiasme quasi-mystique que procure l'approche intime du réel. Je suis personnellement beaucoup plus émerveillé par la contemplation de l'Univers et de la vie qu'il porte que par toutes les théories plus ou moins fumeuses inventées par les hommes, surtout quand ces théories ne sont pas confrontées à l'expérience. Je ne suis pas dupe : la nature est dure, cruelle. Mais, nom de Dieu (!!), qu'elle est belle ! Je n'ai jamais été déçu dans ma quête constante de la vérité. Oh, il ne s'agit certes que de la vérité avec un v minuscule (Ponce Pilate demandait, paraît-il, « Qu'est-ce que la Vérité ? » et là, il devait y avoir un V majuscule…). Qui plus est, on ne peut jamais l'atteindre cette vérité (et c'est même prouvé mathématiquement par la raison elle-même qui a réussi à découvrir ses limites !). Pourtant, c'est sur ce chemin rugueux et difficile que s'est toujours révélé progressivement à mon intelligence et à mon coeur une sorte de présence sereine, lumineuse. L'effort permanent de recherche m'en a rapproché de plus en plus et il continue de m'en rapprocher. C'est là, et là seulement, tout au fond de ma conscience, que je me permets d'envisager l'existence de Dieu. Mais ce n'est qu'une hypothèse de travail !
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