Le clan de tous ceux qui souffrent d'une perte, et qui ont su vivre avec cette douloureuse compagne.
Les réactions des proches étaient pour la plupart du temps bienveillantes. Mais aussi, nous avions droit à de bonnes tartines de pronostics. Chacun y allait de sa petite prédiction, de son petit conseil, de son petit préjugé... Toutes ces phrases cumulées finissaient par nous agacer prodigieusement. p.61
Ma mère avait raison "On l'aimera encore plus", nous a t-elle dit à la naissance de Nils. Je dirais même, "On s'aimera encore plus" ... J'avais rejoint son clan. Celui des parents endeuillés, des orphelins, des handicapés, des invalides, des exilés; le clan de tous ceux qui souffrent d'une perte, et qui ont su vivre avec cette douloureuse compagne. Je sais désormais qu'il est possible, avec cette détermination et patience, de dompter la douleur et de vivre de grandes amours.
Les premières semaines avec mon nouveau-né, je les vis comme si j'entrais dans une forêt profonde. Je ne distingue plus le jour et la nuit. La forêt m'étouffe, le bébé occupe tout l'espace. J'ignore où se trouve l'orée du bois.
L'existence bascule, change de couleur. La souffrance est empreinte du soupçon de la faute. Comment faire comprendre aux autres cette épreuve cruelle ? Comment partager l'indicible? Comment partager l'expérience d'une béance, d'un ciel obscurci ?
Après ces sept premiers jours éprouvants, nous quittions enfin la maternité pour rentrer à la maison avec Nils. Les appels s'étaient succédé pour annoncer la nouvelle aux proches. Nous avions rodé le discours, pour ne pas trop souffrir : "Ça ne s'est pas passé comme prévu... Nils avait une surprise dans ses bagages... Il a une trisomie 21." p.60
Comment ça se passe pour vous ?
Ben... c'est dur...C'est très difficile d'accueillir notre bébé dans ces conditions. Nous sommes tristes, alors que lui, il est là. Je me sens coupable d'être triste, mais je n'arrive pas à faire autrement.
Vous aviez imaginé un autre enfant. C'est le plus dur. Accepter que ça ne se passe pas comme prévu. Il y a un deuil à faire, celui de l'enfant que vous avez rêvé avant sa naissance. p.51
Après le mariage, le déménagement... ça te dit un nouveau projet ? Ça te dit d'élever un enfant trisomique avec moi ?
Oui, oui d'accord, je veux bien faire ça avec toi.
Je ne sais pas du tout ce qui va se passer, mais on va le faire.
C'est peut-être mégalo ou mystique de penser ça, mais si ça nous arrive à nous, c'est peut-être parce qu'on est capable de l'assumer ?
Oui, on est des parents géniaux, c'est pour ça que Nils nous a choisis... p. 36 et 37
Pour mes deux grossesses, Frédéric et moi étions mal à l'aise en acceptant de faire le dépistage de la trisomie 21. Nous étions troublés par son objectif tacite : l'avortement. En France, 96% des parents qui apprennent la trisomie de leur bébé pendant la grossesse choisissent de l'interrompre. Nous ne vouions surtout pas être confrontés à ce dilemme. Et pourtant, nous aurions probablement fait le même choix. Sans rien connaître de la trisomie, comme tout le monde, elle nous faisait horreur. p.28