Vous connaissez cette chanson ? Celle que l'on se chante à voix haute pour égayer son humeur. Celle qui redonne de l'entrain quand tout autour de soi viserait à nous accabler. Celle, enfin, que je me chante à chaque fois que je cherche à faire le vide dans mon esprit. On a tous une chanson pour ça.
Je me fais sans doute des films plus épiques que ne l’est la réalité. Ce n’est pas parce que j’ai grandi auprès d’un monstre que… Je serre mes poings. Que quoi ? Qu’est-ce que je raconte ? Que l’horreur n’existe pas ? Bien sûr qu’elle existe ! Je suis bien placée pour en parler !
« C'est drôle comme le monde s'arrête de tourner avec lui. Comme il devient mon monde. J'aime cette façon bien à lui de me voir. »
Il émane de ces gens, des hommes pour l’essentiel, une telle détresse que mon cœur ne peut s’empêcher de se serrer à la vue d’inconnus dont l’échine courbée laisse deviner une vie remplie de coups durs.
L’entendre prononcer mon nom me remue de l’intérieur. Ces gens font preuve d’une singulière familiarité, à peine rencontrés. Je n’aurais jamais entendu autant mon prénom qu’en l’espace de cette seule journée. Ils me donnent l’étrange sensation d’avoir atterri dans l’un de ces villages maudits des récits fantastiques où les habitants sont tous de mèche. J’en ai des frissons. À y regarder de plus près, cet endroit n’est qu’un immense décor de film d’horreur, en commençant par la caravane… Je souffle une fois dehors, contrariée par cette vieille revêche qui n’a rien voulu entendre.
Je m’en veux de ne pas lui avoir ouvert la porte. Des vieux réflexes sans doute. Après tout, j’ai grandi dans la haine de la police. Je n’ai pas cette confiance aveugle que d’autres manifestent à leur égard.
Elle me sourit. De ces sourires cassés par la tristesse d’un regard qui peine à s’éclairer. J’ai vraiment envie de la prendre dans mes bras. J’ignore son histoire, mais quelque chose en moi me pousse à la consoler.
Son regard me donne chaud. Mes joues me brûlent soudain. Je ne trouve rien d’autre de plus intelligent que de lui répondre par un hochement de tête timide. Je me sens idiote… Sexuellement troublée et idiote…
C’est plus fort que moi, mes yeux sont irrémédiablement attirés vers lui. Il dégage ce quelque chose d’animal dont on pressent la férocité sans parvenir tout à fait à s’en éloigner. Ce serait comme croiser un loup en pleine forêt. L’instant flirte entre magie et danger.
Je n’ai pas le temps de me cacher avant que son regard ne croise le mien. Ma respiration se coupe. Ses yeux sont aussi perçants que ceux d’un aigle. Un courant électrique irradie ma poitrine. Mon cœur s’arrête de battre. Une seconde. Une seconde seulement. Une seule, au cours de laquelle je perds pied et retiens mon souffle. Puis il baisse la tête et plonge ses mains dans les poches de son jean tout en s’avançant en direction du bar.